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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Quand j’ai commencé à fréquenter de manière un peu assidue l’église réformée, à parler de mon chemin et de mes découvertes à des ami.es, une bonne partie des questions qu’ils et elles m’ont posées revenait à celle-ci : « comment peux-tu envisager de rejoindre une Église chrétienne avec tout le mal qu’ont fait les Eglises ?! ». Cette question-là, je me l’étais évidemment déjà posée à moi-même. Et pour être tout à fait franche, je me la pose encore régulièrement, parce qu’y réfléchir me paraît sain.

J’ai grandi en étudiant à l’école les ravages des guerres de religion, l’instrumentalisation du religieux par le politique, les justifications que les théologiens ont apporté à l’esclavage ou à l’inégalité entre femmes et hommes. Je suis entrée dans l’adolescence avec l’apparition du Sida et l’opposition de l’Église catholique au préservatif. Mes amis et moi sommes entrés dans l’âge adulte en découvrant l’opposition persistante de nombreuses églises à la contraception et à l’avortement. Dans les milieux scientifiques où j’ai travaillé, on ne sait trop s’il faut rire ou pleurer de la position créationniste de certaines églises et on est sûr de devoir pleurer quand une église n’a pour seule réponse à la crise environnementale ou à la misère qu’une espérance vague en un « monde meilleur après la mort ».

J’ai grandi dans un monde où l’adhésion à une organisation est perçue comme un embrigadement dangereux qui demande de renoncer à toute intelligence, à tout esprit critique, à toute autonomie de pensée. Dans un tel contexte, choisir de devenir chrétienne, c’est presque honteux. Non, la précaution est inutile : c’est honteux. Et j’ai eu honte de ce désir, de ce chemin que je prenais, sur lequel je me sentais pourtant appelée et sur lequel je me sentais pourtant revivre.

Face à cette honte, j’ai eu plusieurs stratégies : d’abord me protéger… J’ai attendu un peu avant de parler de ce que j’étais en train de vivre. Une fois un peu plus assurée sur mon chemin, j’en ai parlé d’abord à des tout proches, et puis j’en ai parlé plus librement.

Une autre stratégie a été de me concentrer sur le verre à moitié plein. Oui c’est vrai que les Eglises chrétiennes ont participé ou causé beaucoup de mal au cours de l’histoire et certaines continuent à le faire. Mais pas seulement. Elles ont aussi été à certains moments des lieux d’émancipation, elles ont permis l’émergence de penseurs et de penseuses essentiel.les, elles ont façonné nos paysages, nos sociétés, elles ont inspiré des trésors architecturaux, elles ont donné la place à des personnalités immenses et inspirantes, depuis les apôtres de Jésus jusqu’à Martin Luther King en passant par François d’Assise ou Marie Dentière.

Ces deux stratégies ont été utiles et nécessaires à court terme, mais insuffisantes à long terme. La troisième stratégie, qui n’en est pas vraiment une, est celle qui m’a permis de continuer tranquillement mon chemin jusqu’à aujourd’hui. C’est la prise de conscience que la discussion était faussée : en choisissant de devenir chrétienne, je ne choisissais pas d’abord de devenir membre d’une institution ecclésiale, je décidais de répondre à l’appel à faire confiance au Dieu de Jésus-Christ. Devenir membre de ce qui était à l’époque l’Église Réformée de France, devenue depuis l’Église Protestante Unie de France, c’était un moyen que je me donnais pour cela. Un moyen au service de cet engagement personnel. Un moyen précieux, extrêmement précieux même : une communauté accueillante et stimulante de personnes en chemin, des pasteurs formés, compétents et bienveillants, des lieux pour lire ensemble, célébrer ensemble, manger ensemble, étudier ensemble. Un moyen à choisir avec discernement parmi les églises existantes. Mais un moyen seulement et, comme toute œuvre humaine, un moyen imparfait ! Comme dans toute communauté il y avait des tensions, des personnes moins sympathiques que d’autres, des compromis à trouver qui ne convenaient au final à personne ou presque. Comme dans toute institution il y avait des limites parfois agaçantes, des incohérences. Et il y avait cette histoire passée que nous portions ensemble, faite d’ombres et de lumières. Mais au final peu importe : en devenant membre d’une Église, je ne cherchais pas à entrer dans le « Club éternellement parfait des gens toujours parfaits ». Je cherchais une communauté de chemin et je n’avais pas à en avoir honte.

Bien plus, comme dirait Paul, je pouvais même être fière. La fierté n’a pas tellement bonne presse en christianisme, et peut-être moins dans les Eglises réformées que dans tout autres, et peut-être encore moins pour les femmes ! Pourtant Paul parle à de nombreuses reprises de la fierté dans sa correspondance. Bien comprise, il me semble que cette notion peut nous inspirer pour vivre sereinement en disciples ici et maintenant.

Pourquoi Paul perle-t-il souvent de la fierté ? S’il ne se coltine certes pas 2000 ans d’histoire parfois bien sombre du christianisme, il doit faire face à d’autres aspects sociaux qui font qu’à son époque comme à la nôtre la fierté semble inaccessible à un chrétien, à une chrétienne. Jésus subvertit tous les modèles de réussite, de courage, de virilité, et il est fort difficile de tirer fierté d’une mort aussi ignominieuse que la sienne ou d’un Dieu qui a laissé faire ça. C’est peut-être précisément parce que la honte rôde que Paul ne cesse de rappeler aux destinataires de ses lettres la fierté qui peut être la leur. Non pas une fierté hautaine et méprisante, mais un sentiment qu’on a envie de partager, un sentiment de joie, devant le Dieu auquel ses lecteurs et lectrices ont choisi de faire confiance. Dans le bref passage que nous venons d’entendre, Paul évoque trois fois la fierté, avec trois motifs différents, assez étonnants :

1. La première fois qu’il évoque la fierté, elle est liée à l’espérance : « nous sommes fiers parce que nous espérons dans la gloire de Dieu » dit-il. La gloire de Dieu, c’est le poids qu’on lui donne ou qu’il prend. Espérer de la gloire de Dieu, c’est faire confiance à la promesse reçue que son règne s’est approché en Christ et qu’il sera un jour pleinement établi. Cette espérance est basée sur ce que nous pouvons déjà en goûter en nous mettant sur les traces de Jésus de Nazareth. Et c’est ainsi qu’elle peut être source de fierté, de joie : elle invite à relever la tête face à tout ce qui veut prendre le pouvoir sur notre vie et sur notre monde, autrement dit elle invite à garder la tête haute face à toutes les idoles auxquelles nous pouvons nous sentir asservi.es.

2. Immédiatement après, Paul évoque une deuxième fois la fierté : « Nous sommes fiers parce que nous souffrons. » Là, on comprend mieux les mots, mais ils nous heurtent. En tout cas moi ils me heurtent ! La souffrance n’est pas un motif de fierté ni de joie, quelle que soit son origine. Et il me semble que Paul est démesurément confiant quand il affirme que la souffrance rend persévérant, fidèle et espérant… Dans bien des cas, la souffrance au contraire écrase, rend amer.ère et détruit toute espérance, voire débouche sur la mort. Mais il est précieux, quand on se trouve au cœur de la tourmente, que la souffrance est trop lourde et brise en nous tout élan et toute espérance, d’avoir dans notre entourage des personnes qui espèrent contre toute espérance, qui nous portent dans la prière, qui nous tendent la main et nous aident à choisir la vie intérieure plutôt que la mort intérieure. Et si nous lâchons, si nos proches lâchent aussi l’espérance et la confiance, Dieu lui ne la lâche pas. C’est dans cette mesure que, sans aller à dire comme Paul que nous sommes fiers parce que nous souffrons et cela à tous les coups, je peux dire que parfois, au cœur de la souffrance, on fait l’expérience d’une présence au cœur même de l’abandon et que cette expérience est source d’une joie qui reste accessible sous l’expérience de la souffrance.

3. A la toute fin de passage enfin, après avoir évoqué la mort de Jésus sur la croix, Paul évoque une troisième fois la fierté : « nous sommes fiers de notre Dieu à cause de notre Seigneur Jésus Christ. » Ici Paul opère de manière particulièrement visible un renversement total dans la notion de fierté. Tout le début de la lettre que Paul écrit aux Romains s’emploie méthodiquement à saper tout ce sur quoi pourrait reposer notre fierté devant Dieu. Les quatre premiers chapitres sont assez pesants à lire, tant ils semblent effacer petit à petit toute source de satisfaction de notre vie. Nous avons besoin, comme êtres humains, d’avoir un minimum d’estime pour nous-mêmes, et Paul semble nous l’ôter complètement. Ils rejoignent pourtant aussi notre expérience la plus intime : le sentiment d’être insuffisant, la certitude de ne pas être parfait, que personne n’est parfait.

Mais en fait, Paul ne cherche pas à éliminer complètement la notion de fierté : il en propose une compréhension qui fait de la fierté un socle indestructible de notre expérience humaine : une fierté qui est toute en Dieu et pas du tout en soi. Paul ne conteste pas qu’on puisse se sentir fier.ère d’un accomplissement personnel, d’une réalisation – et d’ailleurs lui-même ne se prive pas de se réjouir des succès de son ministère. Ce qui lui pose problème, c’est qu’on pense pouvoir tirer fierté devant Dieu de ces réalisations et, si on peut dire, les lui présenter comme de bonnes raisons de nous aimer, de nous protéger et de nous accorder ce dont nous avons envie ou besoin. Cette attitude en elle-même est une expression de cette déviation de tout l’être que Paul appelle le péché. Elle est fondée sur la croyance que nous devons conquérir Dieu, nous devons le convaincre parce qu’il est en guerre contre nous, sans cesse déçu et en colère contre nous. Or, et c’est là l’Evangile, la Bonne Nouvelle, cette croyance est fausse. Absolument et complètement fausse.

Si donc pour Paul, rien ne tient comme fierté devant Dieu, c’est tout simplement parce que nous n’avons besoin de rien devant Dieu pour être aimé.es, soutenu.es, accueilli.es, guéri.es. Nous ne sommes plus en guerre contre lui car il nous a réconciliés avec lui explique Paul. L’initiative est radicalement du côté de Dieu. Nous ne nous pensons pas dignes de l’amour de Dieu. Plus encore : nous nous savons indignes de cet amour. Mais Dieu, lui, a fait, fait et fera encore le choix renouvelé de l’amour, et non de la colère.

En fait, la fierté dont parle Paul n’a rien à prouver à qui que ce soit, ni aux humains, ni à Dieu. Elle ne se croit pas tout permis, car elle se sait au bénéfice de la grâce. Cette fierté-là veut partager la joie d’être aimé.e tel.les que nous sommes, sur tous nos chemins. Cette joie-là nous transforme et nous donne la paix.

C’est cette fierté là qui peut nous aider à garder la tête haute, à rester debout face aux gouffres de nos passés, individuels et collectifs. C’est cette fierté-là qui nous rendra capables d’écouter celles et ceux que nous avons blessé.es, celles et ceux que nous blesserons peut-être encore, individuellement et collectivement. C’est cette fierté-là qui nous donnera le courage de demander pardon, de chercher des réparations possibles, ou d’accepter notre totale impuissance et d’en pleurer peut-être. C’est cette fierté-là qui nous donnera la persévérance pour nous engager dans des chemins plus lumineux, pour demander chaque jour à Dieu son aide pour choisir la vie pour nous et pour celles et ceux qui nous sont confiées.

Il y a quelques semaines, j’ai été abordée dans la rue par un duo qui cherchait à évangéliser pour une église évangélique de l’agglomération d’Annemasse. Découvrant que j’appartenais à l’EPG, l’une des deux personnes s’est mise à m’invectiver sur ce qu’elle estime être les erreurs et les tiédeurs de mon église, et à me demander si je n’avais pas honte d’en faire partie, avant, comprenant que je suis pasteure, de me promettre les flammes de l’enfer. Dans ce type de situation, c’est la fierté dont parle Paul qui m’aide à répondre tranquillement et joyeusement : oui c’est vrai, mon Église, comme toutes les Eglises, est loin d’être parfaite, elle a fait et elle fera encore des erreurs. Mais je la crois capable de les regarder en face, d’en apprendre quelque chose, de dire clairement non au mal, d’essayer de son mieux de faire autrement pour la suite. Elle est composée d’êtres humains imparfaits, dont je suis. Et tous ces êtres humains sont des enfants aimé.es de Dieu, en chemin, travaillé.es par l’Esprit Saint pour devenir un peu plus vivant.es, un peu plus aimant.es. C’est là ma fierté et mon espérance.

Amen

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