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17:00| | Prédications | Sandrine Landeau et Emmanuel Rolland

office du soir du 25
décembre

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, Joseph, Dieu est arrivé dans ma vie sous la forme apparente de la trahison et de l’effondrement de tous mes rêves.  Moi très franchement jusque-là je n’attendais pas grand-chose de lui, simplement d’être suffisamment juste à ses yeux pour ne pas risquer de malheurs. J’ai été servi !

Que je vous raconte. Mon avenir était tout tracé, sûr : j’allais me marier avec Marie, une fille du village qui semblait une femme travailleuse, douce, obéissante, avec qui j’avais noué une relation de confiance. Nous allions avoir des enfants bien sûr ; j’aurais transmis mon métier – je suis artisan, et c’est un bon métier – aux garçons, j’aurais trouvé de bons partis aux filles. Nous aurions respecté la Loi, fait les sacrifices attendus selon les règles prescrites pour rester en règle avec Dieu comme avec les rabbins, pour respecter la tradition de nos pères. Dieu était pour moi un peu lointain, pas mal pointilleux sur les règles, toujours un peu mécontent des humains, à ne pas fâcher évidemment car qui voudrait se fâcher avec un être tout-puissant ?

Bref, dans mes projets, Marie et moi nous allions continuer la vie tranquillement, comme mon père avant moi, et comme le père de mon père, son père avant lui, comme les choses continuent depuis la fondation du monde, parce que c’est ainsi qu’on a toujours fait. Oui, l’avenir était tout tracé, et il ressemblerait furieusement au passé, au déjà connu ce qui est plus sûr et rassurant.

Mais voilà, c’est de l’inattendu qui est venu. Et quel inattendu ! Marie est venue un jour, avant que nous soyons mariés, m’annoncer qu’elle était enceinte, se justifiant d’une prétendue action du Saint Esprit. Franchement, cette histoire de Saint Esprit ça ressemblait à une mauvaise transposition de la mythologie grecque, avec leur Jupiter qui engrosse toutes les jolies femmes qui passent. Soit Marie me menait en bateau pour essayer de minimiser sa trahison, soit… soit je n’y comprenais plus rien : j’avais appris un Dieu lointain, qu’on ne pouvait approcher qu’avec de multiples précautions et règles de pureté, et voilà que Marie me disait qu’il choisissait de prendre chair dans le ventre d’une femme ordinaire, d’un village quelconque, dans un processus mystérieux et frappé d’impureté. Entendons-nous bien, j’aimais Marie, et je l’aime toujours, mais franchement, qu’est-ce qui pouvait bien pousser le Dieu d’Israël à la choisir elle en particulier, au mépris de toutes les règles de pureté, et même de la simple bienséance. Parce que la moindre des choses dans ces cas-là, c’est d’en avertir des personnes fiables et compétentes d’abord non ? Je sais pas moi, le grand-prêtre, les rabbins, ou même n’importe quel homme, mais Marie ?! Et tout ça dans quel but franchement ? Quel besoin Dieu aurait-il de se faire enfant parmi les humains ?!

Je n’étais pas sûr de vouloir de ce Dieu bizarre, incompréhensible dont me parlait Marie. La place d’un Dieu n’est pas au milieu des humains, incognito. J’étais complètement perdu, avec Marie, avec Dieu, avec tout !

Une seule chose me semblait sûre : Saint Esprit ou pas, j’étais bien placé pour savoir que je n’étais pour rien dans l’état de Marie. Et donc, plus question d’envisager un mariage bien sûr : qui voudrait d’une femme qui est enceinte d’un autre ? quelle confiance pouvais-je avoir en elle maintenant ? Et puis que diraient les autres, la famille, les amis, les voisins en apprenant que ma fiancée n’avait pas su se tenir, qu’elle m’avait trompé avant même que nous soyons mariés ?

Pour faire bref, tout s’écroulait pour moi : rêves d’avenir et image de Dieu. D’abord j’ai eu une réaction de déni : ça ne peut pas m’arriver à moi, ça ne peut pas arriver à Marie, elle va forcément se mettre à rire et me dire que c’était une blague – et je lui dirai qu’elle était mauvaise, ou bien je vais me réveiller de ce cauchemar. Et puis, j’ai eu peur : peur du qu’en dira-t-on, peur de me tromper, peur que plus rien ne soit comme avant, peur informe de tout ce qui allait arriver. J’ai senti monter une immense colère aussi : pourquoi Marie me faisait-elle ça à moi, j’avais toujours été correct avec elle, je croyais même que nous nous aimions, que nous pouvions nous faire confiance et nous appuyer l’un sur l’autre ! Pourquoi Dieu me faisait-il ça ? Je n’avais rien fait pour mériter une telle claque de sa part !

Et puis je me suis résigné : tout cela était réel, et je savais bien ce que je devais faire. Répudier Marie. Je savais aussi ce que ça voulait dire pour elle : au minimum les questions insistantes, les commérages, les soupçons ; au pire, quand on la découvrirait enceinte sans père, la lapidation. La loi me demandait de la dénoncer, d’exiger réparation. Je ne pouvais pas, je l’aimais encore voyez-vous… alors j’ai décidé de rompre nos fiançailles en secret. Ça lui laissait une chance. Celle de partir au loin cacher sa grossesse, ou de trouver un homme plus ouvert que moi qui la prendrait enceinte. Le chemin était tout tracé pour moi comme pour elle, la loi, la tradition et ma blessure me disaient la même chose : répudie-là, tu en prendras une autre, plus fiable, dans quelques temps, en prenant bien garde cette fois de ne pas trop te faire d’illusions. Quant à Marie, lui advienne que pourra, c’est sa responsabilité de toute façon.

 

Interlude

 

Après ce tourbillon intérieur, ne subsistait que vide, silence et désolation. Au milieu de ces ruines intérieures, je me suis égaré – ou bien je me suis retrouvé, allez savoir – dans un de ces états où vous n’êtes pas endormi, mais pas non plus complètement éveillé, un peu ailleurs, un peu à côté de vous-même. Vous avez sans doute déjà connu ce type d’état où toutes les barrières habituelles sont baissées. Pour moi beaucoup d’images et de certitudes avaient déjà disparues, alors j’étais, sans même m’en rendre compte, dans un état de disponibilité inusité, nu de toutes mes certitudes, de tous mes rêves, de ma compréhension de moi et du monde.

Alors, du silence au plus profond de moi est montée cette voix « n’aie pas peur, ne crains pas ». Elle est montée alors que je ne la cherchais pas, alors que je ne l’attendais pas, sidéré que j’étais par la violence du choc. Moi qui, juste avant, tremblais de peur et de colère, je me suis accroché à cette voix. « N’aie pas peur ». J’avais très envie d’y croire et en même temps aucune ressource intérieure pour croire à quoi que ce soit. Mais, là où je n’avais plus aucune ressource, cette voix a fait ce qu’elle disait : en même temps qu’elle disait « n’aie pas peur », une grande paix s’est installée en moi.

Et elle m’a proposé une autre voie, un autre chemin que celui dont j’avais rêvé, un autre chemin que celui que la Loi et ma blessure m’indiquaient. Prendre Marie avec moi, vivre avec elle, accueillir cet enfant, quel qu’il soit, quelle que soit son origine. La voix me disait que la venue de cet enfant était de Dieu, une venue de la part de la vie et de l’amour, que quelque chose de beau et bon pour beaucoup en sortirait. La voix me proposait en somme un autre regard sur toute l’affaire : là où je ne voyais que trahison et effondrement, elle me proposait confiance et vie renouvelées. Là où je ne voyais que solitude et punition divine, elle me proposait être-ensemble et tendresse divine.

J’ai choisi la vie, une vie inexplicable, inattendue, foisonnante. C’est la meilleure décision que j’ai prise dans ma vie. Choisir la vie telle qu’elle se présentait, même si ça ne correspondait à rien de ce que j’aurais pu prévoir, à rien de ce que les rabbins me disaient d’une vie conforme à la volonté divine. Ça ressemblait plutôt à ces histoires de la Torah où les hommes et les femmes se mettent à l’écoute d’une voix qui les appelle vers des chemins de vie là où tout semble conduire à la mort et à l’enfermement.

Et ça ressemblait surtout à ce que m’avait raconté Marie. Tout à coup je la comprenais. Je la comprenais parce que moi aussi je portais en moi une Parole venue d’ailleurs et en même temps venue du plus profond de moi, je ne savais pas comment ni pourquoi. Moi aussi, comme Marie, j’avais dit oui, et moi aussi, comme Marie, j’étais « enceint » d’une Parole de vie qui venait prendre chair dans ma vie.

Franchement, ça n’a pas été facile : rien ne s’est passé comme prévu. Il a fallu se déplacer à Bethléem avec Marie enceinte, vous connaissez l’histoire de la naissance de Jésus dans cette étable. Quelle naissance… je ne sais que vous en dire, sinon que tout à coup, la voix qui m’avait dit « n’aie pas peur » prenait chair. Avec cet enfant dans les bras, si petit, si fragile, cet enfant qui n’était pas le mien – mais un enfant vous appartient-il jamais ? – je n’avais pas peur, j’étais en paix. Ensuite, alors que je pensais qu’enfin nous pourrions un peu souffler, la voix est revenue pour me dire de partir, encore plus loin en Egypte, pour protéger l’enfant, protéger la vie. Partir protéger la vie en Egypte, franchement pour un juif, c’est un peu un oxymore ! L’Egypte c’est le symbole des forces de morts qui enferment, et il fallait que j’y emmène cet enfant puissant de vie et d’amour, fragile de vie et d’amour, parce que la terre promise était devenue un lieu de danger. Le monde à l’envers ! Oui bien une façon encore pour cette voix que je portais de continuer tranquillement à mettre bas toutes mes certitudes sur la vie, la mort et ce Dieu que je ne comprenais plus mais auquel j’avais choisi de faire confiance… Cet enfant qui était la vie même, je l’ai emmené au pays de la mort et de l’esclavage, comme s’il devait de toute façon tout connaître de notre histoire, de nos limites, de nos blessures.

Oui, pour moi choisir de faire confiance à Dieu tel qu’il se présentait dans ma vie – et pas tel que je l’avais imaginé – n’a pas été une solution de facilité, une solution de repos. Il m’a conduit là où je n’aurais jamais imaginé aller, j’ai traversé des épreuves dont j’ai cru ne jamais sortir. Mais ces mots «ne crains pas », m’ont accompagné toujours, même dans les nuits les plus sombres. Ne crains pas, n’aie pas peur de ce qui vient, je suis avec toi tous les jours, dans tous tes tourments, dans toutes tes incertitudes, dans tous tes deuils, dans toutes tes joies. Je suis là, avec toi, Emmanuel.

Amen

Sandrine Landeau

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