No Video Files Selected.
10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Prédication

« Jésus ne put faire là aucun miracle, si ce n’est qu’il posa les mains sur quelques malades et les guérit. » Il y a là pour moi en tout cas deux étonnements que je vous propose d’explorer ensemble : d’abord cette sorte de banalisation des guérisons physiques opérées par Jésus, et ensuite l’impuissance de Jésus.

Commençons par le statut des guérisons physiques, que notre récit compte pour presque rien, on pourrait dire des « miracles ordinaires ». Ces guérisons spectaculaires sont pourtant celles qui arrêtent d’abord l’attention, hier comme aujourd’hui. Certains les considèrent avec réticence, parce qu’elles vont contre la raison et suscitent donc la méfiance. D’autres au contraire y voient un signe rassurant essentiel de la puissance divine qui dépasse ce que notre raison peut appréhender. On s’est beaucoup écharpé, et on s’écharpe encore, sur la place qu’il faut accorder à ces miracles : obstacles à la foi, ou au contraire condition sine qua non des miracles ?

L’Evangile d’aujourd’hui nous dit que quand Jésus fait des guérisons physiques inattendues, c’est bien un miracle, mais que ce n’est presque pas la peine de le mentionner. Il y a au moins deux raisons à cela. La première, c’est que pour le rédacteur de l’évangile il est évident que Jésus, et à travers lui Dieu, souhaite que notre corps se porte le mieux possible, ne soit pas source de souffrance. Dieu n’est pas la source de la maladie, et bien sûr qu’il fait ce qu’il peut pour lutter contre la maladie de bien des façons. Pas la peine donc de s’attarder.

La seconde raison, c’est que si Jésus de Nazareth a posé les mains sur des personnes qui vivaient en Judée et en Galilée il y a deux mille ans, il ne peut plus le faire pour nous qui lisons l’Evangile après les événements de Pâques. Il n’est donc pas très utile de s’appesantir trop longtemps sur ces guérisons. Que nous importe finalement que Mme Untelle il y a si longtemps ait été guérie de sa main paralysée si cela ne peut plus avoir lieu pour nous ? L’Evangile a certes été Bonne Nouvelle pour des générations avant nous, mais il est aussi Bonne Nouvelle pour nous, dans nos vies, ici et maintenant. Jésus ne peut plus nous imposer les mains, l’Evangile ne peut donc pas se focaliser sur ses guérisons, sauf à passer à côté de son but. Attention, ça ne veut pas dire que Dieu ne fait plus rien contre la maladie depuis la mort de Jésus sur la croix ! Mais il passe par d’autres canaux, en particulier par l’inspiration et le dévouement des toutes les femmes et les hommes qui prennent soin des malades, qui observent, qui comparent, qui étudient, les maladies, les remèdes, et les conditions de la santé.

Il y a encore une troisième raison – et c’est peut-être la plus importante – au quasi silence gêné de Marc sur les guérisons opérées par Jésus : c’est qu’elles détournent l’attention de ce qui compte vraiment dans le ministère de Jésus, un ministère dans lequel Paroles et actes ne font qu’un. Ce qui compte vraiment dans le ministère de Jésus, c’est ce qui se produit dans sa rencontre avec tout un chacun, quelle que soit sa condition, malade ou pas, infirme ou pas, homme ou femme, enfant ou vieillard, riche ou pauvre, honnête ou malhonnête ou tout autre étiquette que les humaines utilisent pour se définir entre eux. Le cœur du ministère de Jésus se situe sur le plan spirituel, c’est-à-dire sur le plan de la relation entre l’humain quel qu’il soit et Dieu, YHWH, la source de Vie. C’est pour cela qu’il parle de lui-même comme d’un prophète, et pas comme d’un guérisseur. Jésus, par son enseignement, ses actes, ses choix, sa mort et sa résurrection, est venu d’abord nous parler de Dieu et de la relation qu’il cherche à nouer avec chacun d’entre nous : une relation dénuée de peur, basée sur la confiance et la gratuité. Une relation qui donne les fondations pour marcher dans la vie de manière libre, confiante, détachée du poids des conventions sociales ou familiales. Une relation qui autorise à poser un regard neuf sur les gens et les situations et à faire jaillir la vie là où n’étaient que des forces de mort.

Dans la relation avec Dieu que Jésus est venu manifester, et qu’il nous invite à vivre, il s’agit d’ancrer sa vie à la puissance de vie offerte en Dieu. Une puissance qui n’est pas puissance de domination, mais qui est capacité d’aimer, de faire des choix, de traverser ce qui fait mal sans être brisé, capacité d’agir dans sa vie et dans celle des autres pour libérer la Vie. C’est bien plus vaste que la capacité (absolument pas négligeable) à guérir telle ou telle maladie du corps. Cela guérit les maladies et infirmités de l’intériorité. C’est une puissance réelle, une puissance qui peut déplacer les montagnes et une puissance vulnérable cependant, car elle dépend de la relation qui s’établit ou non entre l’être humain et Dieu, et que toute relation est vulnérable.

A Nazareth comme ailleurs, Jésus est prêt à partager, à rencontrer, à manifester ce Dieu qu’il appelle Père et qui l’habite. Mais dans sa ville natale, il se trouve impuissant à le faire. Pourquoi cela ? Parce que les gens de Nazareth ne voient pas en Jésus une personne à découvrir, mais une personne qu’ils connaissent déjà. Ils l’ont vu tomber, s’écorcher les genoux, se disputer avec d’autres garçons, draguer aux filles, fuguer au Temple de Jérusalem, s’engueuler avec ses parents parfois. Ils connaissent son caractère, sa manière de travailler, d’entrer en relation. Jésus leur est tellement familier qu’ils n’ont pas de place dans ce tableau pour découvrir en lui une autre personne que celle qu’ils connaissent déjà. Et cela limite sérieusement la capacité d’action de Jésus.

N’avez-vous jamais connu cette sensation, en vous retrouvant avec des gens que vous connaissez depuis des années, proches amis ou famille, et en entendant raconter pour la 63e fois telle vieille histoire, de vous retrouver enfermée dans des images qu’on se fait de vous ou des autres, de tourner en rond dans du déjà vu, déjà vécu ? Par exemple cette histoire de la fois où vous aviez perdu vos clés de voiture et que tout le monde avait retourné la maison de vacances pour vous aider à les retrouver – et oui, vous êtes tellement étourdie ! Mais qui voudra bien voir quelle capacité d’organisation vous recelez, et quels trésors de créativités vous êtes capables de déployer ? Ou cette autre histoire, quand votre cousin n’avait rien compris à ce que disait ce policier italien qui vous avait arrêtée sur la route, donnant lieu à un magnifique quiproquo – bien sûr, il a toujours été nul en langue ! Qui voudra voir son don pour écouter les enfants sans parole et sa capacité à se remettre sans cesse en question, à apprendre des choses nouvelles ?

Les gens de Nazareth sont dans cette situation et ils vont un pas plus loin. Ce Jésus que nous connaissons si bien d’où tient-il son autorité et sa puissance demandent-ils ? Il est allé se baigner dans la même rivière que nous, il a mangé la même chose, il est tout comme nous, et maintenant pourtant il semble différent. Ce n’est pas possible ! Un peu comme si votre cousin si nul en langue devenait tout à coup Secrétaire général de l’ONU. Pourquoi et comment ce sort lui échouerait-il à lui et pas à vous puisqu’il n’est pas meilleur que vous ?

Derrière ces questionnements, ceux des gens de Nazareth et les nôtres, il y a la croyance très profondément ancrée qu’il y a des êtres exceptionnels, qui l’ont toujours été, depuis leur naissance, et que ce sont ces êtres qui peuvent nous apporter quelque chose à nous, les êtres ordinaires. Mais Jésus n’est pas un être extraordinaire au sens attendu du terme : il est un humain comme les autres, qui a grandi comme les autres. Là où il est extraordinaire, c’est qu’il s’est rendu transparent à la présence de Dieu en lui et l’a rayonné autour de lui et qu’il a sans cesse voulu montrer le chemin pour que nous fassions de même. Le rejet de Jésus par les habitants de Nazareth dit notre difficulté à entendre que Jésus n’est pas seulement un être exceptionnel, mais aussi un être humain très ordinaire et que nous sommes appelées à être de même.

Dans le langage théologique, on appelle ça l’Incarnation : Dieu vient habiter en Jésus, et la vocation universelle : nous sommes tous et toutes appelées à devenir temples de Dieu, à laisser la présence de Dieu en nous rayonner en nous et autour de nous.

Les habitants de Nazareth – que nous sommes un peu nous aussi – croient connaître, croient savoir. Ils sont enfermés dans ce savoir qui ne laisse aucune place au doute, à la surprise, à la rencontre. Ils ne savent pas tout de Jésus, ils ne savent pas tout les uns des autres, ils ne savent même pas tout d’eux-mêmes. Ils ne savent pas qu’eux aussi peuvent entrer dans cette relation confiante avec Dieu, et que cela peut changer leur vie. Ils ne savent pas que leur manière de se comprendre eux-mêmes et de comprendre les autres – y compris Jésus et Dieu – est partielle et qu’en la posant en absolu ils s’enferment. Jésus lui s’étonne, il essaie, il se laisse surprendre, il regarde les autres tels qu’ils sont, pas tels qu’il voudrait qu’ils soient. Il voit à la fois la belle personne, et ce qui l’empêche de se manifester déjà. Si Jésus était venu d’ailleurs, un peu exotique, il aurait été écouté à Nazareth, s’il avait été un peu moins normal, il aurait été écouté à Nazareth. Les gens de Nazareth voulaient un gourou avec une sagesse inconnue, ils ont l’enfant du pays qui a leur sagesse commune, ils ont un Dieu qui vient les rencontrer dans la banalité de leur vie.

Avez-vous déjà vécu ce sentiment vertigineux de vous trouver seul.e quelque part, sans personne qui vous connaisse justement, ou croit vous connaître, et de vous dire tout à coup « et si... ». Et si je faisais quelque chose que je ne ferais jamais dans ma ville, là où je peux être reconnu et jugé ? Et je m’asseyais un moment avec cette femme qui fait la manche ? Et si j’entrais dans ce bar branché et y dansais jusqu’au bout de la nuit ? Et si j’allais lire à haute voix des poèmes dans le parc ? Et si... Et si je laissais de côté ce que je crois savoir de moi et des autres et que je posais sur nous un regard totalement neuf ? Dans une telle situation, on est libre. Libre d’être autre chose que ce qu’on donne à voir au quotidien. Libre d’ouvrir en soir d’autres portes. Libre de nouer d’autres relations. C’est enivrant. Et terrifiant. Mais c’est ce que Jésus nous propose d’oser chaque jour à nouveau : oser être autre chose que ce que nous avons toujours été, ou la même chose mais autrement – libres de l’enferment du « toujours », conscient.es qu’on peut choisir d’être autre pour un temps, et que rien de ce que nous donnons à vois ne dit le tout de notre être.

Si nous osons, une transformation intérieure, un véritable miracle peut se produire.

Si au contraire quelque chose nous empêche d’oser... rien n’est possible pour le moment. Et ce n’est pas si grave : il n’y a aucune menace associée à cet état : Jésus ne grille pas les habitants de Nazareth sur place, il ne les maudit pas. Il fait ce qu’il peut faire presque malgré eux, guérir ce qui souffre le plus manifestement, par le toucher qui passe au-delà de l’enseignement intellectuel. Et il va plus loin, il laisse du temps, il laisse mûrir, et il attend, il espère. Il laisse derrière les étiquettes qu’on essaie de lui coller, manière de dire « oui je suis – comme vous – de Nazareth. Mais cela ne dit pas le tout de ce que je suis – comme cela ne dit pas le tout de ce que vous êtes. » Bien sûr il y aurait eu tellement plus à vivre, tellement plus à guérir, tellement plus à déployer. Ils sont passés à côté. Et Jésus passe son chemin, il ne veut ni ne peut forcer. Peut-être plus tard, en un autre lieu, les choses seront différentes et la rencontre pourra se faire.

Cette non-rencontre de Nazareth n’est pas le seul échec de Jésus. L’histoire de Jésus est une succession d’échecs et de rendez-vous manqués, mais pas de désespérance. Car jamais Jésus ne perd son regard aimant sur l’humanité, jamais il ne cesse de voir les autres, de nous voir comme il nous espère, comme les humains magnifiques, puissants d’amour que nous sommes déjà un tout petit peu et que nous sommes appelées à être encore plus. Nous sommes déjà, même si nous ne nous vivons pas comme tel.les, des prophètes et des prophétesses, capables de donner la vie et la guérison autour de nous. Et il nous arrive d’avoir peur : peur de ce que nous ne connaissons pas, peur que la vie puisse vraiment être belle et lumineuse. C’est trop beau pour être vrai entend-on parfois. C’est trop beau pour être vrai que ce type né de nulle part, normal comme nous, puisse être le Messie, c’est trop beau pour être vrai que nous puissions l’être nous aussi.

C’est pourtant ce qui nous est promis : tu es mon enfant bien-aimé, car je t’aime. Vis comme mon enfant !

Amen

Cookies

This website uses cookies. By continuing to browse the site you are agreeing to our use of cookies. Find out more