No Video Files Selected.
10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

« Je ne sais pas prier »

Cette phrase, je l’entends assez souvent dans les entretiens que j’ai avec des gens de tous horizons. Elle est dite avec une peu de gêne, comme si c’était un aveu qui avait échappé, d’autant plus honteux qu’on est sûr d’être le seul, la seule. Sûr que les autres, eux savent. Alors que ce non savoir sur la prière est sans doute l’un des traits les plus partagé par les croyant.es ! Nous ne savons pas prier. Ou en tout cas nous avons l’impression de ne pas savoir prier.

Et non seulement nous ne sommes pas les seuls, mais encore nous ne sommes pas les premiers ! Les disciples de Jésus eux non plus ne savaient pas prier, puisqu’ils demandent à Jésus de leur apprendre. Peut-on apprendre à prier ? Jésus leur a-t-il appris ?

La demande des disciples, exprimée par l’un d’eux, est curieuse à première vue : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples » Que vient faire Jean dans cette histoire ? Deux choses aux moins. La première c’est que, comme nous, les disciples de Jésus ont l’impression que les autres savent mieux prier qu’eux, en particulier les disciples de Jean. Un peu comme nous pouvons avoir l’impression que telle personne prie plus souvent et mieux que nous, ou que les moines et moniales – ou les pasteur.es – savent prier mieux que les autres. Et la seconde, c’est qu’à l’époque de Jésus, les différents courants du judaïsme se distinguaient par des lectures différentes des textes bibliques, mais aussi par des pratiques différentes, notamment de prière. Les esséniens, les baptistes, et tous les autres, avaient ce qu’on peut appeler une règle de prière : des moments, des rituels, des mots spécifiques. Un peu comme les différents ordres monastiques si on veut.

Les disciples donc, en demandant que Jésus leur apprenne à prier demandent une règle de pratique en même temps qu’une mise à niveau. Et Jésus, comme souvent, répond de manière étonnante. Il prend réellement en compte leur besoin, leur demande, et en même temps il le décale profondément, invitant à réfléchir en amont à ce qu’est la prière et ce que cache cette demande d’apprendre.

Le premier indice de cela se trouve dans la première phrase de notre récit : « Jésus était un jour quelque part en prière – ou plus littéralement : Jésus était un jour quelque part priant – le participe présent exprime que la prière est une action ! » Les disciples demandent une règle à suivre, mais précisément il n’y en a pas : Jésus prie oui, et l’évangile de Luc est celui où l’on voit le plus Jésus en train de prier (10 fois), mais il ne suit pas une règle précise. L’évangéliste ne précise pas de schéma récurrent dans cette pratique de prière, autre que le fait qu’elle semble faire partie du quotidien de Jésus. Et ici il nous dit simplement : un jour, quelque part, en prière. Difficile d’être moins précis ! On ne sait rien du lieu (dedans, dehors, pris tel quel, aménagé ?), de l’heure ni du jour (le jour, la nuit, le matin, le soir, le shabbat, le troisième jour de la semaine ?), de la fréquence (est-ce la première fois de la journée, la dixième ?), de la position (debout ? Assis ? À genoux ? En mouvement – pourquoi pas ?), des préliminaires (Jésus a-t-il procédé à des rituels avant ?), des personnes présentes (Jésus était-il seul, à l’écart, ou bien avec ses disciples, avec d’autres encore ?). La seule chose sûre est que Jésus priait et que cela semble une habitude, c’est une chose toute naturelle du quotidien. En ce sens cette prière est tout à fait banale. Et pourtant elle est telle qu’elle suscite le désir de prier chez ses compagnons.

La réponse de Jésus est en deux temps. D’abord il répond au moins en partie à leur demande d’apprentissage, et puis il subvertit aussitôt son enseignement, empêchant de l’absolutiser.

Premier temps donc : une réponse à leur demande exprimée d’apprendre à prier. Jésus leur offre les mots qui sont devenus ceux du Notre père, ici dans une version plus ramassée que celle qu’on trouve dans l’évangile de Matthieu et que nous dirons tout à l’heure. Quelques mots à peine, du langage de tous les jours, là où les pratiques tendaient à délayer largement les prières, à en faire de très longues, avec de très belles formules, de préférence peu compréhensibles pour paraître le plus ésotériques possibles et donc puissantes… Rien de tout ça ici. Des mots en petit nombre, que tout le monde peut comprendre.

Puisqu’ils ne savent pas prier et veulent apprendre, Jésus apprend à ses disciples quelques phrases, comme on apprend une poésie. Quelques phrases pour dire l’essentiel : la place qu’on reconnaît à Dieu et qu’on veut lui faire, et le besoin qu’on a de lui pour notre vie spirituelle comme pour vivre nos relations. C’est beaucoup, et cette prière que les communautés chrétiennes disent encore aujourd’hui partout dans le monde, que les chrétiens et les chrétiennes récitent souvent seul.es à toute heure, a nourrit des générations de croyant.es, et continuera à le faire.

Et pourtant il y a encore bien autre chose dans cet enseignement : il y a tout ce qui n’est pas précisé. Jésus ne dit rien de la fréquence, du rythme, de la préparation, du caractère individuel ou communautaire de la prière. Tout cela importe peu. L’essentiel est de prier. Il dit « quand vous prier », à comprendre « à chaque fois que vous priez », que ce soit une fois par heure, par jour, par semaine, par mois ou par an. Jésus répond, et en même temps ne répond pas. Ils vouaient une règle pratique, quotidienne, ils ont quelques mots à dire, sans autre indication. Parce qu’ici comme ailleurs Jésus se refuse à donner des recettes universelles. Il ne donne pas de détails pour que ces détails ne deviennent pas des carcans mortifères au lieu d’être des soutiens libérateurs. Il n’y a pas d’heure meilleure qu’une autre pour prier : la meilleure heure pour prier, c’est celle où l’on a effectivement prié. Il n’y a pas de lieu meilleur qu’un autre pour prier : le meilleur lieu pour prier, c’est celui où l’on a effectivement pu prier. Il n’y a pas de position meilleure qu’une autre pour prier : la meilleure position pour prier, c’est celle dans laquelle on a effectivement pu prier.

Bien sûr, les humains étant ce qu’ils sont, il nous est parfois utile de nous fixer une discipline de prière, pour garder la forme spirituelle, comme on se fixe une discipline d’exercice physique, pour garder la forme physique. Mais sans jamais perdre de vue que cette discipline est secondaire, qu’elle est un moyen et non pas le but. Comme le fait de refuser de se coucher sans s’être réconcilié après une dispute conjugale est un moyen au service de la relation, pas un but en soi.

Jésus enseigne des mots pourtant. Les mots sont-ils donc la meilleure prière ? Y a-t-il donc des mots meilleurs que d’autres ? Comme une formule magique qui nous ouvrirait à coup sûr le chemin vers Dieu ? Si ce fantasme est bien humain, et que nous le partageons tous au moins un peu, il repose sur une vision de Dieu bien loin de celle dont Jésus est venu témoigner…  Car, on ne le répétera jamais assez, notre prière n’est pas une condition pour que Dieu nous aime, ni pour qu’il nous cherche. Elle est une réponse à la prière première de Dieu. Elle est jaillissement dans la confiance, pas nécessairement des mots précis, en des temps ou des lieux précis. La prière ne change pas Dieu, elle nous change nous, elle nous éveille à Dieu, elle nous rend un peu plus humains.

Les mots que Jésus a proposés à ses disciples ont un poids spécial bien entendu. Ces mots-là sont offert comme des guides, et comme un bref condensé des prières possibles. Le plus important est sans doute le premier : « père, papa », parce qu’il dit justement que la prière n’achète pas l’amour de Dieu, elle répond à son amour déjà présent et le reconnaît pour tel.

Mais ces mots-là n’interdisent évidemment pas d’utiliser d’autres mots. Les chrétien.nes de tous les temps l’ont bien compris d’ailleurs : nous continuons à prier les psaumes, ces très anciennes prières, et à dire et composer d’autres prières, à utiliser les mots d’autres croyant.es, pour rester au plus près de ce que nous avons envie d’exprimer à Dieu. Le Notre Père, les psaumes, comme les prières publiques ou celles des autres, nous aident parce qu’elles nous décomplexent et parfois nous donnent les mots que nous ne trouvons pas : Calvin dit ainsi du livre des psaumes que « Ce livre nous apporte un bien qui est souhaitable sur tous les autres, c’est que non seulement nous avons accès familier à Dieu, mais aussi qu’il nous est permis et libre de déployer devant Dieu toutes nos infirmités, que nous avons honte de déclarer devant les humains. » (Commentaire des psaumes).

La brièveté même de la prière proposée par Jésus interdit de la poser en absolu, en seule prière possible. Cela est confirmé par la suite du récit. Car aussitôt après, Jésus raconte cette drôle de parabole et donne quelques avertissements imagés, pour donner à réfléchir sur cette demande d’apprendre à prier.

La parabole de l’ami insistant attire notre attention, comme celle des disciples, sur le fait que finalement les mots, l’heure et la convenance ne sont pas si importants. Ce qui compte, c’est la relation de confiance qui préexiste à tout cela. C’est cette relation existante de confiance qui pousse un homme à sonner chez son ami en pleine nuit pour lui demander l’hospitalité, sans s’être annoncé auparavant, sans attendre que la maisonnée soit levée. C’est une autre relation, tout aussi existante et confiante qui pousse cet ami à se rendre un troisième homme, toujours en pleine nuit, pour lui demander immédiatement du pain, comme si ça ne pouvait pas attendre, et à insister lourdement. L’évangile de Luc s’adresse à des non-juifs, qui donc se sentent sans doute un peu démunis, dépaysés, au moment de prier un Dieu unique qu’ils connaissent encore peu. Alors oui il y a des éléments de langages qui peuvent être utiles, et le Jésus de Luc en donne, mais il ne faut pas trop s’attarder sur ces questions de comment bien prier ! Ce qui compte, c’est de chercher cette relation, de prier, de dire, avec ses propres mots peut-être, avec insistance, ou à reculons au contraire, comme ça vient ou en ayant réfléchi longuement aux mots à choisir. Dire ! Dire et demander, parce que disant et demandant on humanise ce qui nous habite, le placer à la lumière d’un regard bienveillant, sortir du déni, de la souffrance. Et c’est bien sûr s’exposer à la déception d’un non-exaucement de la demande.

Parce que notre expérience, c’est quand même souvent d’être déçu.e par la vie, déçu.e par Dieu. La parabole de l’ami insistant nous invite à insister, sans se soucier des convenances, comme cet ami qui fait une demande incongrue au milieu de la nuit… Parce que demander, prier, c’est être cherchant, c’est être demandant, c’est être frappant (en grec, les verbes sont au participe présent). Cherche jusqu’à trouver, frapper à la porte jusqu’à ce qu’elle s’ouvre, demander jusqu’à obtenir. Ou jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’on a reçu autrement, ou bien que notre demande a changé parce que nous avons changé.

Sans oublier que Dieu n’est jamais source de mal ou de malheur, c’est cela que Jésus affirme et réaffirme ici encore une fois : il ne nous donnera jamais le malheur, comme un père ne donnera jamais un serpent ou un scorpion à son enfant. Il arrive que l’enfant marche sur un serpent, il arrive que le malheur frappe, ce n’est pas Dieu qui est à l’origine. Ce que Dieu donne, c’est l’Esprit Saint, de bien des manières, et tant et si bien que nous ne le percevons pas toujours. Ce qu’il donne, c’est la force de vivre encore cette journée, de supporter encore cette douleur, de frapper encore à cette porte, de consulter encore ce médecin, c’est cet élan d’essayer encore une fois d’appeler telle personne, de sourire malgré tout le reste. Souffle et vie, tel est l’Esprit.

Alors, peut-on apprendre à prier ? Oui et non. Oui, on peut apprendre différentes manières de prier, différents langages de prière, par imitation ou simplement en faisant : c’est en forgeant qu’on devient forgeron, et c’est en priant qu’on devient enfant de Dieu. On a besoin parfois de mots pour la prière, et on peut s’entraîner, seul chez soi ou en groupe le dimanche, comme dans une salle de musculation on fait des exercices spécifiques pour tel ou tel muscle, pour pouvoir ensuite mieux bouger son corps en entier, comme à l’école on apprend la grammaire, l’orthographe, pour mieux comprendre et s’exprimer.

Et non la prière ne s’apprend pas, au sens où elle ne s’absolutise pas : la prière est relation. Vous n’apprenez pas à vous adresser à un ami ou à une sœur, vous aimez cette personne et vous le lui faites savoir de bien des manières différentes : par des mots, des gestes, des attentions, des moments partagés. Il n’y a pas de recette miracle dans une relation, sinon d’avoir envie que cette relation existe et soit porteuse de joie et de vie. Pour la prière c’est un peu la même chose. A ceci près que s’il nous arrive de perdre l’envie que la relation existe entre Dieu et nous, lui ne la perd jamais. Et si nous cessons de l’entretenir, lui ne cesse de chercher comment la reprendre. Parce qu’il nous a aimé le premier, qu’il nous aime, et qu’il nous aimera.

Amen

Cookies

This website uses cookies. By continuing to browse the site you are agreeing to our use of cookies. Find out more