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10:00| | Prédications | Emmanuel Fuchs

Matthieu 25, 14-30

Audio culte du 14 juillet 2019

J’ai eu envie ce matin de reprendre ce « grand classique » parmi les textes bibliques, cette parabole des talents ; même si on la connait et qu’on l’a souvent entendue commentée, elle continue de nous déranger. Car honnêtement, elle n’est pas très sympa ; ce n’est pas le premier texte que je ferai lire à quelqu’un qui a envie de découvrir les joies de l’Evangile. On semble assez loin du message de pardon, d'accueil et d'amour inconditionnel de Dieu, quelle terrible image de Dieu donne-t-elle ? Et comment ne pas avoir pitié de ce malheureux troisième serviteur qui n'a pourtant pas si mal agi. Il a même fait preuve d'une certaine prudence, de sagesse pourront même prétendre certains. Alors Dieu a-t-il vraiment raison de le condamner ?

Première lecture assez légitime mais il faut bien réaliser que nous sommes là face à une parabole et une fois de plus Jésus cherche à nous provoquer ou tout au moins à susciter en nous une forte réaction pour nous aider par la suite à la dépasser. C’est le principe même du genre de la parabole : dans le cours d’une histoire somme toute ordinaire quelque chose vient nous déranger. N'avons-nous pas tous eu dans un premier temps du moins pitié des ouvriers de la première heure qui ont trimé toute la journée ou compris la réaction contrariée du fils aîné au retour du fils prodigue avant de surmonter ces réactions pour aller au-delà dans la compréhension de ces paraboles. Il en va de même avec cette parabole des talents. Nous sommes tout de suite enclins à prendre la défense du troisième serviteur et nous ne comprenons pas ce maître cruel. N’est-ce pas précisément la réaction que Jésus entend provoquer chez nous pour nous aider ensuite à la dépasser et faire passer son message ?

Mais peut-être faut-il commencer, même si cela peut être de l’ordre de l’évidence, par rappeler qu’un talent (talanton en grec) désigne une monnaie qui est traduite dans nos Bibles par le mot talent. Or le mot talent, par un glissement sémantique, dû précisément à la transmission et à l’interprétation de cette parabole désigne aujourd’hui cette chose non quantifiable qu’est un charisme, un don, une aptitude. Cette faculté singulière que chacun a de participer au monde. Dans cette parabole au départ il s’agit simplement de pièces de monnaie. Commençons alors par constater que les sommes confiées par le maître sont de fait considérables ! Un talent équivalait en effet au salaire d'environ six mille journées de travail d'un travail agricole (donc plus ou moins vingt ans de travail!!!). Cette dimension peut nous échapper, mais pour l’auditeur de Jésus, cela suscite immédiatement une réaction car il y a de la folie à confier de pareilles sommes à des hommes qui ne sont pas forcément fiables. Les sommes sont considérables, mais il est souligné que le maître confie à chacun selon ses capacités ! Il faut souligner cet aspect de la générosité et de la confiance du Maître. Et sa réaction à l’égard du troisième serviteur sera peut-être à comprendre à la hauteur de sa déception, au vu de la confiance qu’il lui a pourtant témoignée.

Les trois serviteurs agissent de façon opposée. Deux d'entre eux investissent cet argent dans un travail et le gèrent habilement de manière à doubler leur mise. Le troisième, quant à lui, enfouit l'argent de son maître dans la terre de peur qu'on ne le lui vole ; une précaution qui, selon la loi juive de l'époque, dégageait, en cas de vol, la responsabilité de celui qui avait pris préalablement pareille précaution.

Notons encore que le dialogue que le maître a à son retour est absolument identique avec les deux premiers serviteurs malgré la différence des sommes. Quant au malheureux troisième serviteur, il n'a pas de gain à présenter, mais pas de perte non plus. Il n'est ni un profiteur, ni un dilapideur ....mais il doit rendre compte de sa passivité. Son discours du reste reflète la vérité de ses relations avec son maître : « je savais que tu es un homme dur ! », lui dit-il pour justifier son attitude et expliquer sa peur. Une peur qui l'a paralysé et empêché de prendre le moindre risque avec la somme confiée.

Si la valeur confiée a encouragé les deux premiers serviteurs à prendre des risques, pour le troisième, cette valeur lui a pesé. On le constate ainsi : ce qui a de la valeur peut nous élever ou au contraire nous faire ployer. La valeur, les charismes, les potentialités peuvent être une chance, mais peuvent aussi générer le repli chez celui ou celle qui a peur de perdre ce qui a été donné.

Le renvoi aux banquiers nous fait un peut sourire « Il te fallait confier mon argent chez les banquiers » ; mais cela indique que le serviteur n'était pas obligé de multiplier la richesse confiée par ses propres moyens seulement ; il n'était pas livré à lui-même mais aurait pu avoir recours à d'autres personnes plus compétentes que lui...

Cela laisse apparaître qu'un des messages de cette parabole c'est que celui qui ne veut pas risquer les dons reçus par Dieu, quitte à les confier à d'autres, risque bien de les perdre. Comme le dit lui-même le troisième serviteur, ce qui a motivé sa conduite, c’est la peur qu’engendre la dureté de son maître, dont il dit qu’il moissonne où il n’a pas semé, qu’il rassemble là où il n’a pas vanné. Le serviteur a eu peur. Il a peur de la réaction de son maître, peur du « qu’en dira-t-il ? », peur de perdre la face, peur de perdre le talent qui lui a été confié, peur de perdre au change. Or la peur est vraiment mauvaise conseillère, elle fait faire n’importe quoi.  La peur est la vertu antiévangélique par excellence. Avoir peur nous conduit finalement à devenir inutile … un serviteur inutile.

La parabole est à entendre comme un encouragement à utiliser le mieux possible, au bénéfice des gens autour de nous, les talents que nous avons reçus, il ne faudrait pas arriver à la fin de notre vie et dire au Seigneur : Voilà je te remets le cœur que tu m’as donné, je l’ai très peu utilisé afin de ne pas faire d’erreur. La fantaisie que tu m’as confiée, je te la rends comme tu me l’as donnée. Elle est presque neuve, elle n’a jamais servi. Le jugement portera sur les fruits que nous aurons produits : «Je vous ai choisis pour que vous produisiez du fruit et que votre fruit demeure» (Jean 15, 16). Cette parabole est donc une invitation au courage : dans la vie, il nous faut avoir le courage de prendre des risques. A l’image de ce verset du livre des Actes (Ac 4, 29) qui nous encourage à faire preuve d’audace « Accorde à tes serviteurs de dire Ta Parole avec une entière assurance » qu’on peut traduire aussi par liberté, audace, courage…

Jésus a été très dur pour les pharisiens qui empêchaient tout changement et qui voulaient «ériger une clôture autour de la Loi et des traditions d’Israël» afin de les protéger. Le christianisme n’est pas une religion de musée. Le Seigneur critique les traditions religieuses conservatrices qui refusent d’évoluer, de se développer, de changer selon les besoins du temps.

D’une certaine manière les trois serviteurs vivent une forme d’intranquillité ; le troisième parce qu’il a peur et les deux premiers parce qu’ils acceptent de prendre des risques. Reconnaître que nous sommes au bénéfice de dons reçus, reconnaître que Dieu attend de nous que nous les mettions au service des autres, c’est accepter de fait une forme d’intranquillité, on peut choisir celle de la peur, ou alors celle de l’audace. Quitte à reconnaître que la posture de serviteur, de croyant ne sera jamais une position facile ou de confort, autant choisir l’intranquillité du risque pris que celui de la peur ou du conservatisme stérile.

Notre Eglise protestante à Genève, comme la plupart des églises historiques en Occident, est en période de grande mutation ; et comme je le dis souvent nous devons alors éviter deux écueils qui seraient celui de la citadelle ou du musée ; c'est-à-dire vouloir replier notre Eglise sur elle-même pour la protéger du monde ou alors vivre dans les temps passés. Notre Eglise doit pouvoir s'ouvrir au monde pour apporter le plus largement possible et le faire fructifier ce trésor inouï et – sans prix ! - qui nous a été confié : à savoir : l'Evangile, cette parole d'amour inconditionnel de Dieu pour chacun, cette parole de pardon et de vie. Non nous ne devons pas devenir un bastion d’irréductibles croyants se repliant sur eux-mêmes, mais nous devons faire preuve de courage et d’audace et non pas céder à la peur comme le troisième serviteur, car la peur réduit notre capacité d’action, elle nous tétanise, elle nous fait nous replier sur nous-mêmes.     

Nous sommes parfois un peu contaminés par une forme de découragement ou de pessimisme face à la situation difficile du Christianisme en occident, mais ouvrons les yeux et regardons tout ce qui se vit dans notre Eglise en dépit d’une certaine fragilité. Il y a du talent, beaucoup de talents ! Que de richesses, de compétences, d'engagements, tant d'attention manifestée à l'autre, tant de profondeurs spirituelles... tout cela nous ne devons pas l'enterrer sinon cela risque de nous être enlevé !

Cette parabole, on l'a dit, souligne d'abord la générosité extrême du maître, voire sa folie, vu les sommes confiées. Une générosité qui si elle n'est pas égalitaire n'en est pas moins juste et équitable, car le maître donne à chacun selon ses possibilités, c'est-à-dire en tenant compte de ce que nous sommes. Aucun serviteur n'est délaissé, chacun a reçu une somme considérable, peu importe qu'il ait plus ou moins que l'autre....Il y a urgence à réentendre cette parabole dans ce monde qui nous met si souvent en comparaison pour ne pas dire en compétition les uns contre les autres.

C'est évident que ce n'est pas facile de constater qu'un tel ou une telle a une meilleure santé que moi, une vie de famille plus harmonieuse, une plus grande maison ou une meilleure situation professionnelle. Même au sein d'une communauté fraternelle ou d’une famille, ce genre de comparaisons est inévitable. Mais n'oublions jamais pourtant que le Seigneur compte sur chacun d'entre nous. Le danger qui nous menace en trop regardant ce que les autres ont et que nous n'avons pas, c'est de ne plus savoir reconnaître ce que nous avons nous mêmes reçu.

Regardons chacune et chacun en nous-mêmes pour discerner le talent que nous avons chacun  reçu. Quel est  ce talent que je peux faire fructifier, c'est-à-dire quel talent est-ce que je peux mettre au service du Seigneur et des autres ; quel talent puis-je mettre au service du témoignage, pour apporter plus loin ce trésor inouï que le Seigneur nous a donné, à savoir cet amour inconditionnel, cet amour qui change la vie et qui lui donne toute sa saveur !

A nous aussi, comme aux serviteurs, le maître fait confiance et nous traite comme des serviteurs adultes et responsables. Cela fait partie de sa grâce ! C'est notre liberté de découvrir l'immensité du don qu'il nous fait et de nous en servir, en nous appuyant les uns sur les autres. Nous pouvons nous en servir, nous pouvons le faire fructifier en l'offrant le plus généreusement et courageusement possible ... ou nous pouvons l’enterrer, c'est notre choix! Mais si nous l'enterons, c'est nous-mêmes que nous risquons d'enterrer avec lui.

Amen.

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