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10:00| | Prédications | Emmanuel Fuchs

J’aime beaucoup ce petit passage de l’Evangile, scène de la vie ordinaire, pourrions-nous dire, où l’on voit Jésus se rendre pour le repas chez ses amis après avoir été à la synagogue, un peu comme nous qui après le culte du dimanche allons prendre un verre et manger avec les amis (enfin quand il n’y a pas le covid !). On y apprend au passage que Pierre était marié …puisqu’il a une belle-mère !

Il faut, pour comprendre ce passage, se souvenir de l’épisode précédent : Jésus avait impressionné à la synagogue le matin même par l’autorité de sa parole et stupéfait les foules en guérissant un démoniaque. Après cet épisode qui a marqué les esprits et lui a valu une grande renommée, on retrouve Jésus dans l’ordinaire de la vie, dans son intimité. Mais cela ne va pas durer, car la guérison du démoniaque de la synagogue a suscité à un tel engouement que sitôt le sabbat terminé on lui amène tous les cabossés de la ville. Et Jésus les guérit.

La guérison va jouer un rôle majeur dans le ministère de Jésus ; on le voit, à travers toutes ces pages de l’Evangile guérir de nombreux malades. C’est un des aspects centraux de son ministère, à tel point que le risque aurait été grand de réduire Jésus à un thaumaturge, à un guérisseur, un faiseur de miracles. Mais Jésus ne veut pas de cette gloire-là ; c’est pourquoi il se retire au désert…alors que tout le monde le recherche. Cela rappelle le récit de la tentation. En effet, la tentation de succomber au pouvoir religieux, à la séduction spirituelle, à la popularité est grande. Jusqu’au jardin de Gethsémané Jésus devra lutter contre. Et les disciples aussi ont dû renoncer à cette tentation d’organiser en quelque sorte un véritable business de la guérison autour de Jésus.

Ce qui est intéressant de souligner avec ces miracles, c’est que Jésus n’est pas là pour faire « du nombre » : les miracles sont certes nombreux, mais ils ne sont toujours que le signe d’une réalité autre, plus grande. Ce n’est pas très facile entendre, j’en conviens, surtout si l’on est malade, mais guérir, n’est pas l’essentiel ; la guérison n’est « que » le signe de cette annonce du Royaume de Dieu qui s’est approché, de cet amour de Dieu, d’un Dieu qui aime, pardonne, relève et qui dépasse le cadre seul du handicap ou de la maladie. Pensez notamment à l’histoire du paralytique déposé par le toit aux pieds de Jésus. Qu’est-ce qui est plus compliqué, dira Jésus, de dire à cet homme tes péchés sont pardonnés ou lève-toi et marche ? La guérison manifeste, extérieure pour ainsi dire, devient ici le signe d’une guérison intérieure plus profonde.

Dans cette histoire de la guérison de la belle-mère de Pierre, Jésus ne cherche pas la publicité ; il est loin du télévangéliste qui guérit une foule en assurant ainsi sa popularité par le succès. On est dans l’intime, le discret, le simple. Ce qui est touchant, c’est la manière avec laquelle Jésus s’intéresse à cette femme. Comment il entre dans une relation intime et personnelle. Jésus aurait pu négliger cette personne. Il vient de faire un miracle, il a envie de se poser tranquillement avec ses amis et puis cette femme n’a que de la fièvre, ce n’est pas si grave après tout ; elle pourrait rester tranquillement dans sa chambre et attendre que ça passe … Et puis lui il autre chose à faire, d’autres priorités et le monde à sauver ! Et bien non, cette femme est là et Jésus va s’intéresser à elle, l’espace d’un instant il n’y a qu’elle qui compte ! La maladie a beau ne pas être grave, elle empêche toutefois cette femme de se tenir debout, à l’image de la femme courbée, que Jésus redressera aussi. Et c’est bien cela le propre de la maladie : nous arrêter, nous piéger, nous prendre dans ses filets et nous empêcher de nous redresser pour affronter la vie en face.

Jésus va permettre à cette femme de se relever et chaque geste que Jésus fait, tout simple, devient comme le signe, comme une parabole d’une réalité plus grande. Il entre chez cette femme. On aurait pu imaginer Jésus rester à la synagogue ou invité par les grands prêtres ; non il se rend dans cette modeste demeure, signe de la présence de Dieu au cœur de la vie ordinaire. Il s’avance vers elle, signe de l’intérêt que Dieu porte pour chacun d’entre nous, quelle que soit notre place dans la société, signe aussi de la grâce, de cet amour surabondant et gratuit de Dieu. Enfin il la relève, il la ressuscite à la vie, signe de cette vie que Dieu toujours veut nous offrir.

C’est à travers ces gestes tout simples, rien de sensationnel en effet dans ce récit, que le miracle s’opère.

La question de la guérison est une question délicate. L’évoquer c’est toujours prendre le risque d’être mal compris. Elle occupe, on l’a dit, une place majeure dans le ministère de Jésus, mais faut-il la limiter au seul ministère de Jésus ? C’était au temps de Jésus tout cela, maintenant c’est fini ; on voit bien que ça ne se passe plus comme ça, qu’on ne peut plus guérir par miracle. Il serait faux et naïf, voire dangereux de penser qu’il suffit de prier ou de s’en remettre au Christ pour guérir. Certes ! mais cela nous empêche-t-il de continuer à mettre notre espoir dans le Seigneur ?

On voit bien à quel point la médecine, malgré les progrès fantastiques de la science, reste un domaine plein de mystères à bien des égards. J’étais un peu étonné mais surtout ravi d’entendre l’autre jour un grand professeur de médecine me dire combien il pense nécessaire que la médecine ne se satisfasse pas seulement d’elle-même mais s’appuie sur les autres sciences humaines dans une nécessaire interdisciplinarité. Pourquoi la foi, pourquoi la dimension spirituelle, part essentielle de l’être humain, ne pourrait-elle pas jouer son rôle aussi dans le processus de guérison ?

Dans un acte de foi, nous pouvons avoir la confiance absolue que comme il a pris le temps de s’intéresser à la belle-mère de Pierre ; Jésus aujourd’hui encore prend le temps de s’intéresser à nous, et à chacune et chacun de nous en particulier. Il a certainement des choses plus importantes à régler dans le monde que de s’occuper de mes petits bobos, mais comme c’était déjà le cas à l’époque, ce qui ne l’a pas empêché de prendre le temps nécessaire pour la rencontre et pour ramener à la vie la belle-mère de son ami.

Oui, la question de la guérison reste toujours un sujet délicat ; car en priant pour la guérison de quelqu’un atteint dans sa santé, nous sommes sur une ligne de crête : nous pouvons vivre une expérience de foi tout à fait authentique et relevante à bien des égards, mais nous pouvons aussi tomber dans des chemins de traverse, surtout lorsque notre prière ne semble pas suivie d’effet immédiat.

Je me souviens avoir été un jour appelé auprès d’une personne hospitalisée qui était non seulement malade mais effondrée spirituellement car des amis bien intentionnés, à l’image des amis de Job, l’avaient encouragée à la prière. « Prie et tu verras tout ira mieux ». Puisque la maladie semblait prendre le dessus cela lui laissait penser que soit elle ne savait pas prier et sa foi était trop fragile pour obtenir la guérison, soit que Dieu ne l’écoutait pas, se désintéressait d’elle. Dans les deux termes de l’alternative, non seulement elle continuait de souffrir physiquement de la maladie, mais se voyait en plus privée du secours de Dieu.

L’encouragement à la prière loin d’aider cette personne l’avait, dans ces circonstances, enfoncée davantage. Faut-il alors s’abstenir de tout recours à la foi ; laissant à la médecine seule le soin de nous guérir ? Je ne serai de loin pas si catégorique et je continue de penser que la dimension spirituelle et la foi en Christ peuvent jouer un rôle essentiel dans le processus de guérison. Mais il faut alors se mettre d’accord sur ce qu’on entend par guérison.

Dans mes paroisses précédentes de Onex et de Chêne, nous pratiquions régulièrement des cultes « Renouveau et guérison » également appelés « cultes pour fatigués et chargés » précisément pour éviter l’ambiguïté du terme « guérison ». Je dois bien dire qu’au début de mon ministère j’étais assez sceptique face à cette démarche, mais à force d’y réfléchir, de penser la liturgie avec simplicité, sobriété, en évitant tout caractère magique, automatique ou sensationnel à la prière, j’ai été convaincu par la pertinence de la démarche. Oui il est important aujourd’hui encore de pouvoir remettre devant le Seigneur, en prière, sa maladie ou tout ce qui plus généralement nous accable et nous empêche de nous tenir debout. Les personnes qui s’avançaient pour demander pour elles cette prière en geste, le faisaient pour des raisons plus larges que la maladie. Nombreuses sont les causes, au-delà de la maladie, qui peuvent, comme la fièvre de la belle-mère de Pierre, nous piéger et nous empêcher de nous tenir debout pour affronter la vie.

Aujourd’hui encore nous pouvons avoir cette confiance : comme le Seigneur est entré dans cette maison, s’est avancé vers la belle-mère de Pierre, l’a relevée, aujourd’hui encore le Seigneur n’est pas trop occupé pour s’intéresser à nous, pour venir à notre rencontre et nous relever chaque fois que les aléas de la vie nous piègent et empêchent d’avancer.

Le mot utilisé pour indiquer que Jésus a relevé cette femme c’est le même que le mot utilisé pour parler de la Résurrection. Croire à la Résurrection ce n’est pas seulement croire que Jésus a triomphé de la mort au matin de Pâques, ce n’est pas seulement croire qu’une vie nous attend mystérieusement au-delà de la mort, c’est bien plus encore que cela : c’est croire qu’aujourd’hui déjà le Seigneur est Celui qui peut me relever, me ressusciter à la vie chaque fois que je suis comme arrêté dans mon existence que ce soit par la maladie, la souffrance, le deuil, les soucis.

L’affirmer avec foi ce n’est pas avoir la naïveté de prétendre qu’il suffit de prier pour effacer les symptômes, la maladie, la souffrance. Même si parfois certaines guérisons demeurent inexplicables et relèvent du miracle… Croire que Dieu n’est pas indifférent à ma souffrance, c’est avoir la confiance que Dieu, comme il est descendu en Christ jusqu’à la croix, le lieu de souffrance par excellence, descend aujourd’hui encore jusqu’à moi. Comme il est entré dans la chambre de la belle-mère de son ami, le Seigneur ne cesse de venir à notre rencontre et nous rejoint dans notre vie intime et tout particulièrement dans ces zones d’ombre, dans ces pièces reculées, ces lieux qui font mal.

Croire au miracle de la guérison, ce n’est pas croire que le Seigneur que comme par un coup de baguette magique va effacer tous les symptômes de la maladie ; c’est croire que le Seigneur est celui qui aujourd’hui encore a le pouvoir d’amour de nous relever chaque fois que la vie nous piège, nous fait tomber, nous arête ou nous conduit dans des impasses. C’est mon ami Christophe Rieben, qui vous le savez peut-être est diacre dans notre Eglise et est sévèrement paralysé depuis un accident de moto qui a cette belle formule quand il dit avec foi « Dieu m’a relevé en m’asseyant ».

La guérison ce n’est jamais revenir en arrière, ce n’est pas revenir à l’état d’avant la maladie. Guérir, c’est traverser la maladie, comme on traverse un désert ou une tempête. C’est croire que le Seigneur nous accompagne dans cette traversée, qu’il est à nos côtés, qu’il nous prend par la main comme il a pris celle de la belle-mère de Pierre, pour nous relever fût-ce à travers les épreuves, la solitude, la maladie et même la mort. Il est celui qui toujours nous relève, nous ressuscite à la vie et ouvre devant nous un chemin de vie.

Amen

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