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10:00| | Prédications | Emmanuel Fuchs

Luc 17, 11-19

Audio culte du 3 février 2019

Coup de chance ou bénédiction ? Quand on gagne au loto ? On aurait tendance à dire coup de chance ; mais une naissance qui se passe bien, un trajet sans histoire, une guérison après une lourde opération … coup de chance ou bénédiction ? La réponse est déjà plus subtile. Peut-on y voir la main de Dieu ?

Et l’inverse est encore plus délicat. Un accident, déraper et se casser la cheville… malchance ou malédiction ? Une maladie, la perte de son emploi, là encore pas facile de savoir si l’on peut ou doit y voir l’intervention de Dieu.

Comment donc comprendre ce qui nous arrive dans la vie, car nous sentons bien qu’il y a des choses qui nous arrivent qui nous dépassent ou sur lesquelles nous n’avons pas vraiment prises. Alors Dieu dans tout cela est-il présent, agissant ?

Personnellement, je veux croire que Dieu veille sur ma vie ; la plus grande bénédiction c’est de réaliser que Dieu n’est pas indifférent à ce qui nous arrive, qu’il n’est pas un Dieu distant ou distrait, mais faut-il pour autant voir sa main dans tout ce qui nous arrive ? Je n’en suis pas certain. Les dix commandements nous invitent à ne pas invoquer le nom du Seigneur en vain autrement dit ne pas mettre Dieu à toutes les sauces. Oui je crois à un Dieu présent et agissant, mais non je ne crois pas que Dieu pilote ma vie. Ma vie n’est pas sur pilotage automatique….Je dois pouvoir assumer mes choix en responsabilité. Certes mais en même temps on le sait tous : il y a parfois, indépendamment de mes choix et responsabilités, des choses qui nous « tombent  dessus » dans la vie. Que ce soient du reste des grands bonheurs ou des malheurs. Cela dit, il faut bien l’admettre on n’est plus prompt à réagir aux grands malheurs qui nous arrivent et à en chercher un responsable que lorsque un bonheur nous arrive… que l’on accepte sans sourciller.

Et pour les dix lépreux du texte biblique était-ce le jour de chance ou une bénédiction ?

La question peut surprendre, mais quand on regarde le texte on remarque qu’on est assez loin d’un texte de guérison classique où Jésus prend la personne à l’écart, lui impose les mains. Ici rien de tout cela et pas même la promesse d’une guérison, mais seulement l’ordre d’aller se montrer aux prêtres.

Ces dix lépreux, mis à ban de la société et qui doivent se tenir à distance des autres personnes ne manifestent pas particulièrement de déférence ou de foi à l’égard de Jésus quand il arrive. En quelque sort ils tentent leur chance comme ils l’auraient fait auprès de n’importe quel « Maitre » passant dans les parages. Leur démarche, peut-on parler de foi ?, est évidemment intéressée ; il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas grand-chose à perdre. Cela me fait penser aux personnes, et loin de moi l’idée de les juger, qui sont prêtes à s’en remettre à tout et n’importe qui, qui leur promet un meilleur sort lorsque le malheur ou la maladie les frappe, cela peut être parfois risqué.

Il y a dans la démarche des lépreux de la sincérité, même si, encore une fois, elle n’est pas le fruit d’un long cheminement de foi mais plutôt le signe d’un désespoir. Et la guérison intervient hors de la présence de Jésus. Elle n’est du reste qu’à peine mentionnée.

Alors que neuf d’entre eux s’empressent d’aller se montrer aux prêtres, pour le dixième la démarche est différente, il est question de regard « voyant qu’il était guéri », il porte un regard différent que ces compagnons sur ce qui vient de se passer ; il voit, il reconnaît ce qui lui arrive et cela débouche sur de la reconnaissance.

Ne taxons pas trop vite les neuf autres lépreux d’ingrats. On peut comprendre leur empressement à aller se montrer aux prêtres pour être ainsi réintégrés au sein de la communauté des vivants. Quoi de plus légitime ? L’attestation de guérison et donc la réintégration à la vie normale ne pouvait en effet être obtenue qu’auprès des prêtres. Ils ne cherchent pas à comprendre ce qui leur arrive, c’est leur jour de chance ; ils ont frappé à la bonne porte au bon moment. Peu importe d’où vient cette guérison, ils la prennent sans demander leur reste avant qu’elle ne disparaisse aussi vite et bizarrement qu’elle est apparue.

Pour le samaritain, c’est différent, il comprend qu’il y a plus qu’un coup de chance, il comprend surtout qu’il y a de fait beaucoup plus même qu’une guérison.

Alors pour une même histoire, si neuf répondent « coup de chance », le dixième répond « bénédiction ».

Le Samaritain comprend que le miracle a commencé au moment même où cet homme, Jésus, ne s’est pas dérobé à la rencontre. Le miracle fut dans cette parole d’amour, de dignité, de liberté entendue et reçue par ces hommes de l’ombre, abandonnés à leur triste sort. Il n’y a eu aucune eau magique, aucune relique, aucun geste, simplement une parole et dans cette parole plus que des mots, mais une promesse de vie.

Cet homme comprend alors que la guérison n’est « que » le signe extérieur d’une rencontre plus profonde qui a bouleversé sa vie. Mais pour le comprendre, il lui a fallu s’arrêter et regarder en arrière.

Etre croyant, c’est vivre d’espérance bien sûr, mais c’est aussi et surtout peut-être vivre de reconnaissance. Le Samaritain ne devient pas croyant (au sens d’une vraie confiance en Jésus qui change la vie) quand il le rencontre. Son espérance était intéressée. Il l’aurait placée en n’importe qui pour être guéri ! Mais il devient croyant quand il ose la reconnaissance ; quand il reconnaît que dans cette rencontre quelque chose a changé sa vie.

Etre croyant c’est avoir des attentes pour demain ; bien sûr. Mais être croyant c’est aussi savoir relire sa vie, regarder dans sa vie pour discerner les moments où le Seigneur nous a rejoints.

Mais vivre de reconnaissance, attention, cela ne veut pas dire tout accepter. Certainement pas ! Et certainement ne pas dire « merci » sans broncher pour tout ce qui nous est arrivé y compris les épreuves et les peines. La reconnaissance n’est pas un vernis à mettre sur nos peines pour les cacher.

Il y a de l’incompréhensible dans notre vie et nous avons le droit d’être fâchés devant les souffrances et les difficultés de la vie. La souffrance par essence n’a pas de sens. Il n’y pas de raison de dire merci pour la souffrance. J’ai horreur de ceux qui veulent prétendre à une forme de pédagogie de la souffrance, comme si Dieu utilisait la souffrance pour ses fins ; quel Dieu cruel cela serait !

Non il ne s’agit pas de tout accepter sans broncher mais de déceler en changeant notre regard ce qui dans notre vie a pu être de l’ordre d’un surcroît de vie, d’un chemin de sens offert par le Seigneur auquel nous n’avions peut-être pas pris garde sur le moment.

Il ne s’agit pas de faire comme si la souffrance n’existait pas et qu’il suffisait de sourire béatement à la vie pour que tout aille mieux. Il faut prendre la peine au sérieux et savoir pleurer avec ceux qui pleurent. La reconnaissance n’est pas là pour gommer la peine mais pour éclairer notre passé différemment.

Si nous croyons que notre vie n’est pas simplement le fruit du hasard (bon ou malheureux) mais qu’elle est précédée par le désir de Dieu et qu’elle débouche à son terme dans son amour, alors nous pouvons regarder notre vie différemment et faire naître en nous des sentiments de reconnaissance.

La foi nous ouvre à la louange et à l’espérance ; elle nous permet de vivre le présent avec confiance et d’attendre demain avec espérance, mais la foi est encore plus que cela, ou plutôt préalablement à toute démarche de foi, il doit y avoir une démarche de reconnaissance. Reconnaissance que notre vie est portée par Dieu. Reconnaissance que Dieu ne nous laisse jamais tomber seul dans le mystère de l’absurde ou dans le non-sens de la souffrance, même si beaucoup de questions demeurent en nous et pour nous irrésolues. La reconnaissance est la condition première à toute démarche de foi : reconnaître que je suis aimé. Cet amour parfois nous pouvons le ressentir dans des moments de grâce ; souvent nous le découvrons plus tard quand nous prenons le temps de  nous arrêter et de regarder en arrière les signes que Dieu a déposés au bord de notre route.

Il est intéressant de noter du reste que l’apôtre Paul quand il écrit aux différentes communautés chrétiennes avec lesquelles il est en lien, et cela même quand il s’agit de régler des différends, commence ses lettres en rendant grâce. Et cela non pour cacher les difficultés ou adopter un ton mielleux ; mais pour placer la reconnaissance en premier. Je ne suis pas sûr que cela soit possible en toutes circonstances (on le voit bien du reste dans certains psaumes qui sont un cri de révolte, d’incompréhension, d’abandon).

Mais Paul nous encourage à essayer de tendre vers cette manière de vivre qui commence par rendre grâce, comme nous l’avons fait ce matin avec le psaume 103 pour ouvrir notre louange : « Mon âme bénis l’Eternel et n’oublie aucun de ses bienfaits ».

Cette histoire des dix lépreux ce matin, je la lis alors comme une incitation à placer la prière de reconnaissance au cœur de notre démarche de foi. Je le crois : plus j’apprendrai à dire merci pour tout l’amour dont Dieu nous bénit, plus je trouverai des raisons de dire merci, non seulement dans les jours lumineux, mais également dans les jours les plus sombres.

Amen

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