Les ouvriers de la dernière heure ou
« Ton regard est-il mauvais parce que moi je suis bon ? »
Psaume 145 / Philippiens 1 / Mt 20, 1-16
« Seigneur mon Dieu, autant que j’ai pu, autant que tu m’en as donné le pouvoir, je t’ai cherché, j’ai désiré voir ce que j’ai cru. Permets Seigneur que je ne me lasse jamais dans ma recherche, mais fais que je cherche toujours ardemment ta face. Donne-moi la force de te chercher, toi qui m’as fait déjà te trouver, toi qui m’as donné de plus en plus l’espoir de te trouver davantage. Seigneur mon dieu, accorde-moi de me souvenir toujours de toi, de te comprendre et de t’aimer ». 15 , str.1.2.3 A toi mon Dieu mon cœur monte…
Prière d’illumination
« Si nous rendons à Dieu un culte, Dieu aussi nous cultive. Nous ne le cultivons pas pour le rendre meilleur, puisque notre culte consiste dans l’adoration et non dans le labour. Mais lui nous cultive comme fait un laboureur de son champ ; aussi cette culture nous améliore comme celle du laboureur rend son champ plus fertile (…) Il nous cultive en ne cessant d’arracher pas sa parole, de nos cœurs les germes funestes, de nous ouvrir l’âme avec le soc de ses instructions, et d’y répandre la semence de ses préceptes pour en attendre des fruits de piété. Quand en effet, nous laissons ce laboureur céleste travailler nos cœurs et que nous lui rendons le culte qui lui est dû, nous ne nous montrons pas ingrats envers lui et nous lui présentons des fruits qui sont sa joie ; ces fruits ne le rendent pas plus riche, mais ils accroissent notre bonheur »
Saint Augustin, Sermons sur l’Ecriture, p.765
Au moment d’ouvrir les Écritures, ce sont nos cœurs, nos esprits, nos intelligences que nous demandons à ton Saint Esprit d’ouvrir et d’aérer. Ce n’est pas seulement en ta Parole que nous nous confions, cette parole qui nous cultive et nous laboure, comme le dit si joliment Saint Augustin, c’est aussi dans le laboureur que nous plaçons notre confiance, en sa main ferme et sûre. Ta parole Seigneur est la vérité, sanctifie-nous pas ta vérité. Amen »
Leur as-tu lu ensuite la parabole des ouvriers de la 11ème heure où finalement, ceux qui ont trimé tout le jour sous un soleil de plomb se voient payés au même tarif que ceux qui ont travaillé 10 fois moins qu’eux à la fraicheur du soir ? Je suis sûr qu’intelligente et rusée comme tu es, tu as fermé ta Bible et tu ne leur as rien lu du tout, mais comme le maître de maison, tu es sortie chercher des ouvrières et des ouvriers, en restant assez flou sur le salaire journalier et tu leur as dit : « venez, on a besoin de vous ! » Et ils t’ont suivi ces naïfs ! Sans savoir exactement où ils mettaient les pieds.
Quel pays !!! Le pays de Jésus-Christ n’est décidément pas le pays de Candie. Mais on vous dit bienvenue, bienvenue et surtout bonne chance !
Si vous êtes de celles et de ceux qu’elle n’a pas fait rire, j’aurais envie de dire que c’est plutôt une bonne nouvelle pour vous. Ça veut dire que vous faites partie des premiers. Vous faites partie de ceux qui avez un travail et qui y passez vos jours et pour certains d’entre vous, une bonne partie de vos nuits aussi. Vous faites partie de ceux ne chôment pas et qui peuvent se dire que la subsistance des vôtres est assurée, même leurs loisirs et les vacances. Parce que, le soir venu, c’est à dire au bout du mois, votre salaire va vous être versé. Vous l’aurez gagné, à la sueur de votre front, mais c’est plutôt une bonne nouvelle, parce que vous savez que vous n’aurez pas à aller à l’Hospice Général ; vous n’aurez pas à remplir de formulaires accompagnés de toutes une série de pièces annexes que vous aurez beau avoir trié, classé, rangé, il en manquera toujours une pour justifier d’un subside, d’une allocation sans laquelle vous pourrez non pas devenir riche, mais assurer ric-rac la subsistance des vôtres. Donc, si vous trouvez que cette parabole n’est décidément pas drôle, réjouissez-vous, c’est plutôt bon signe. Vous avez un travail et quoi qu’il vous en coûte, un salaire aussi, qui tombe à la fin du mois. Quelle chance ! Quelle joie de ne pas avoir ce souci-là, en plus de tous les autres qu’occasionnent la vie.
Pour demander un emploi, et comme on vous répond que votre CV a retenu toute l’attention de votre correspondant mais rien que son attention – ce qui n’est pas suffisant pour acheter votre pain quotidien - eh bien vous remplissez d’autres formulaires pour une allocation par-ci, un subside par là ; vous allez dans les paroisses qui vous envoient au CSP ou à Caritas, et puis de temps en temps, coup de bol, vous tombez sur un Joël Rochat, un Pascal Mundler, un Jean-Baptiste Delaugère, une Madeleine Turrettini et ouf, vous aurez pour ce soir, oh pas de quoi allez dîner chez Lipp, mais au moins de quoi remplir votre caddie à la Migros. Pure grâce et merci au fonds diaconie de notre paroisse, à celles et ceux qui l’alimentent et à celles et ceux qui l’administrent de le faire dans un pur esprit de service, dans un pur esprit évangélique, c’est à dire dans la conscience que si tous n’ont pas de travail, il faut quand même que tous puissent vivre.
Jésus, lui, en racontant cette parabole qui fait rire les uns et pas rire les autres, fait preuve ici de beaucoup de malice et d’humour ou disons qu’il pousse la provocation assez loin. En fait, soyons clair, il donne une bonne leçon aux ouvriers de la première heure en leur racontant cette drôle de parabole que nous nous obstinons à appeler la parabole des ouvriers de la 11ème heure alors qu’elle ne parle pas du tout des ouvriers de la 11ème heure mais des ouvriers de la 1ère heure et qui ne s’adresse même qu’à eux.
C’est avec eux, en effet, les ouvriers de la première heure, que le contrat est passé, le salaire fixé, et la malice n’est pas du tout de payer les derniers arrivés comme les premiers, mais de payer les derniers avant les premiers, de manière à ce que les premiers, voyant que ceux qui ont travaillé à 10% du temps reçoivent un salaire à plein temps, s’attendent à recevoir 10 fois plus que le salaire convenu, selon leur sens de la justice économique. Les premiers ne récriminent pas du tout parce que les derniers reçoivent un salaire, même mirobolant compte tenu de leur temps de travail, mais parce que le leur n’a pas été multiplié par 10. Car la justice eût été de proportionner le salaire au temps de travail accompli et alors tout le monde serait reparti heureux, louant la bonté de ce maître prodigue et généreux qui donne aux uns de quoi aller à la Migros et aux autres de quoi aller dîner chez Lipp – voire à l’hôtel des Bergues - avec toute la famille. Pourquoi ne le fait-il pas ? Pourquoi ne donne-t-il pas plus à ceux qui ont travaillé plus ? Pourquoi c’est le droit et la loi pour celles et ceux qui ont travaillé tout le jour et la grâce pour tous les autres ? Veut-il dire par là aux ouvriers de la première heure que travailler tout le jour est une très grande bénédiction, une grâce et une faveur qui a sa récompense en elle-même et qu’en conséquence, ils devraient « s’estimer heureux » de ne pas faire partie des gens qui ont fait la queue toute la journée dans l’attente d’un emploi et d’un salaire qui ne vient pas ?
Veut-il dire que notre sens de la justice est trop étroit, trop centré sur nous-mêmes et les efforts que nous faisons, et pas assez sur besoins, les souffrances de celles et ceux qui n’ont pas accès aux mêmes sécurités que nous ? C’est possible, on ne sait pas, lui en tout cas ne juge pas ; il ne se pose pas non plus de questions. Des questions, c’est à nous qu’il en pose : « Est-ce que je t’ai lésé ? » « Est-ce que je t’ai menti ? » « Est-ce que j’ai trahi mon contrat » « Est-ce que je t’ai fait du tort ? » Ou alors, « ton regard serait-il mauvais parce que je suis bon ? » Remarquez bien qu’il se garde bien de répondre, de nous asséner sa petite morale. Il nous laisse face à notre conscience, il nous l’ouvre même comme l’ostréiculteur son huitre. Il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère mais au couteau. Et on reste là un peu bouche bée tandis qu’il nous règle notre compte en nous disant que quelle que soit la manière dont ça se passe chez nous, chez lui, si les premiers ne sont jamais traités comme des derniers, les derniers, eux, sont traités comme les premiers.
Concluons rapidement :
Cette parabole est adressée aux disciples, les ouvriers de la 1ère heure. Ce qui la motive, c’est la question de Pierre à Jésus qui la précède : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre : qu’est-ce que nous recevrons en retour / quel salaire ? » Juste après, la brave maman des fils de Zébédée en rajoutera une couche en demandant à Jésus que ses deux garçons soient installés l’un à sa droite et l’autre à sa gauche dans le Royaume des cieux. Il est donc bien question de la rétribution des ouvriers de la 1ère heure. Non seulement est-ce qu’on sera payé mais qui sera le mieux payé d’entre nous ?
Intercession
Seigneur notre Dieu et notre Père, il ne faudrait pas que notre prière d’intercession soit une manière de rester en retrait, en te laissant le soin de faire tout le travail. Aussi :
Donne-nous le courage, là où nous vivons chaque jour, de prendre position au nom de notre foi pour vivre de ta grâce et l’annoncer, même si cela doit nous amener à subir l’ironie, voire le rejet ou comme l’apôtre Paul, la prison.
Donne-nous le coiurage de ne pas fermer les yeux sur les injustices, de ne pas nous y habituer, de ne pas penser que c’est normal et que le monde tournera toujours comme ça, sans justice et sans grâce. Donne-nous de résoudre, chaque fois que nous le pouvons, avec les maigres pouvoirs qui sont les nôtres, les situations compliquées, même si nous sacrifions ainsi notre temps et notre tranquillité.
Donne-nous le courage de participer activement à notre communauté paroissiale, afin qu’elle devienne le lieu où notre vie, avec ses conflits et ses recherches, se trouve éclairée par notre foi.
Ne nous laisse pas en repos, Seigneur, tant que notre foi n’imprime pas son exigence sur l’éventail de toute notre vie. Aide-nous à être des chrétiens dans la partique de chaque jour.
Nous remettons entre tes mains de Père nos nos drames intimes et les tourments de nos cœurs.