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10:00| | Prédications | Emmanuel Rolland

"Le juste vivra
par la foi"

Audio culte du 6 octobre 2019

« Le juste vivra par la foi » (Habacuc 1, 2-4)

 2 Tm 1, 6-14 / Luc 17, 5-10

Attention danger. Au cas où vous auriez écouté d’une oreille distraite les impeccables lectures d’Henry Fauche, je vous signale que nous sommes ici en plein triangle des Bermudes. Car ce très court verset d’Habacuc – « c’est par la foi que le juste vivra » - cette île minuscule, ce caillou perdu en plein milieu de l’Ancien Testament, seront le détonateur qui mettront le feu à la dynamite Saint-Paul. Car quand ces mots exploseront aux oreilles de Saint-Paul, quand il comprendra ce qu’ils veulent dire, c’est à dire que ce n’est pas ce que nous faisons qui nous rend juste mais la foi qui nous habite, il vivra un ébranlement intérieur d’une telle puissance qu’il ne verra plus rien d’autre trois longs jours durant. Le choc de l’explosion le laissera sourd, muet et aveugle pendant trois jours.  Tout volera en éclat. Tout ce qu’il croyait. Tout ce qu’il pensait. Après trois jours de nuit complète, il se relèvera en enlevant sa robe de pharisien ; il posera son fouet à terre ; il chaussera ses sandales et il partira annoncer la nouvelle. Il franchira donc les frontières et il s’adressera indistinctement à tous, aux juifs comme aux païens, aux esclaves comme aux hommes libres, et à l’insu de son plein gré, il mettra le feu à tout le bassin méditerranéen, déchirant le judaïsme en deux et balayant tout sur son passage, notamment le paganisme gréco-romain qui avait régné en maître sur les rivages de la méditerranée jusque là. « Le juste vivra par la foi » ; donc pas en sacrifiant à des dieux ni en observant scrupuleusement une loi, fut-elle celle du grand Dieu d’Israël.

C’est la foi, la foi seulement, la foi seule qui fait vivre. Fini les temples, fini les statues, fini les rituels interminables, fini les finasseries, fini de savoir s’il y a 10, 15, 150 ou 616 commandements ; la foi, la foi seulement, juste la foi ; C’est la porte qui ouvre sur le ciel. C’est elle qui transforme la nature de notre relation à Dieu. C’est elle qui établit entre Dieu et nous un lien d’intimité. Une relation filiale, adoptive. La foi change notre nature ; elle nous apparente, au sens de : elle nous rend parents de Dieu le Père, de son Fils Jésus-Christ ; nous sommes unis à eux dans l’unité du Saint Esprit. Il confiera le trésor à ses disciples, la pierre philosophale qui tient en ces trois mots magiques qui lient la foi à la justice et la foi et la justice, à la vie.

Au XVIème siècle, le volcan se rallume. C’est ce même verset d’Habacuc relu par Saint-Paul qui va de nouveau exploser dans la tête d’un petit moine allemand, déchirer le christianisme e et allumer une guerre de religion qui durera jusqu’à la génération de nos grands-parents ; une guerre chaude bouillante puis froide glacée qui ne s’apaisera que 30 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Si Martin Luther n’avait pas été lui aussi renversé, par ces trois mots réinterprétés par Saint-Paul – le juste vivra par la foi » - nous ne serions pas là vous et moi, dans cette cathédrale.

Luther fera parler Saint-Paul dans le langage du XVIème siècle ; un siècle où l’argent apparaît et où le commerce bat son plein transformant les grandes villes d’Europe, Frankfort, Erfurt, Rome, en plaque tournante des échanges où tout s’achète et tout se vend, même l’amour de Dieu, même le salut de l’âme.

Et lui dira : non, c’est gratuit tout ça. On n’a pas besoin d’acheter ; c’est donné. Donné par la foi. La foi seule. Juste la foi. La foi qui fait vivre parce qu’elle libère de devoir acheter, payer, régler ses dettes avec son Dieu.

C’est en 1919 enfin que le volcan connaitra sa dernière éruption majeure et que la terre tremblera une dernière fois ; Toujours avec ce même sacré verset d’Habacuc mais cette fois-ci, l’allumé allumeur était presqu’un gars de chez nous puisqu’il était d’outre Sarine. Il avait fait ses stages pastoraux à Genève, juste à côté de nous, à la paroisse suisse-allemande qui avait déjà à disposition le temple de la Madeleine. Il a fréquenté bien sûr ces hauts murs ; il s’est assis sur les bancs où vous êtes aujourd’hui assis. Il parlait même le français, avec un accent suisse-allemand à couper au couteau mais il parlait français, comme toujours aujourd’hui mieux, que nous l’allemand. C’était Karl Barth qui a écrit de quoi remplir plusieurs rayonnages d’une bibliothèque sur ces trois mots magiques d’Habacuc. Au début de ce XXème siècle, ce siècle de feu et de sang, ça a donné ceci : « le juste vivra par la foi » : Par la foi ! Pas par la recherche de la gloire, pas par le règne de la force. Pas par la guerre. La puissance et la domination des masses. Par la foi en Dieu qui libère de toute aliénation, de tout asservissement aux tyrans de ce monde. En 1919, quand l’Europe avait laissé près de 20 millions de ces enfants ensevelis dans les tranchées d’une guerre mondiale ; en 1939, quand l’Europe s’apprêtait à en sacrifier 60 millions de plus, ces quelques mots enfouis au creux de l’Ancien Testament, exhumés par Saint-Paul, gravés dans les cœurs d’Augustin, de François, de Martin, de Karl et de tant d’autres restaient des mots inflammables :

« C’est par la foi que le juste vivra »

Ceci dit en préambule à l’Evangile de ce jour qui parle, justement de la foi.

Vous l’avez entendu, tout commence avec les apôtres qui demandent à Jésus d’augmenter leur foi. D’avoir un volume de foi augmenté, de devenir en quelques sortes des super croyants pour être des super apôtres ; des apôtres  augmentés. Des apôtres plus plus. Plus forts. Plus crédibles, plus puissants, plus sûrs. Plus confiants. A priori, rien de plus… légitime. Or, Jésus semble répondre complètement à côté en leur faisant remarquer que s’ils avaient la foi, s’ils avaient la foi de la taille d’un grain de sénevé, ils pourraient dire à un arbre déracine-toi et va te planter dans la mer et il leur obéirait.

Désemparé, on interprète cela comme de l’ironie christique ; Jésus se moquerait ici de ses disciples qui veulent une foi augmentée alors qu’ils n’en ont pas les prémices.

Aujourd’hui, je vous propose de lire cela autrement, c’est à dire à la lumière du verset d’Habacuc, en prenant au sérieux le sérieux du Christ, sa gravité à l’instant quand il dit à ses apôtres que la foi est une puissance tellement puissante qu’elle permet, c’est vrai, de faire vraiment tout et n’importe quoi, même de déraciner un arbre pour le planter en pleine mer.

Le problème des apôtres n’est donc pas qu’ils demandent une foi augmentée ; le problème, c’est qu’il y a, derrière leur demande une volonté de puissance qui se dit sans se dire. Une volonté d’être plus, de faire plus par eux-mêmes.

Or la foi, la foi  d’Abraham, d’Habacuc, de Paul, de Pierre et des autres, cette foi-là n’a rien à voir avec la volonté de puissance personnelle mais elle désigne la puissance de Dieu en nous, c’est à dire cette part agissante de la volonté de Dieu en nous ; cette puissance qui nous meut à notre insu ; qui gouverne parfois nos pensées et nos gestes sans qu’on le sache, sans qu’on le veuille et souvent même, sans qu’on le voit ; une volonté qui n’est pas tout à fait la nôtre mais qui est pourtant agissante, à l’œuvre dans ce que je fais, dans ce que je suis, dans ce que je donne et parfois dans ce à quoi je m’oppose ou ce devant quoi je m’élève, fut-ce la plus haute des murailles. Cette puissance n’est pas la nôtre et j’en veux pour preuve, très simplement que Paul n’a pas choisi d’être Paul. Il ne s’est pas dit un beau jour en descendant de cheval, tiens, Jésus, c’est sympa, y’a un truc à faire avec lui pour qu’on parle de moi. Luther aurait tout donné, sa vie, son corps, son âme pour être un petit moine sans histoire et sans éclat ; quant à Karl Barth, quand il a soulevé à lui tout seul et renversé d’un coup d’épaule toute la théologie libérale du XIXème siècle, qui faisait de l’Evangile une morale et de Jésus-Christ un Socrate de Nazareth,  il n’a pas voulu, lui, Karl ce succès dont il a été le premier effrayé comme on est effrayé devant la manifestation d’une puissance sur laquelle nous n’avons aucune prise. Il y a quelque chose qui a agit en eux ; Ils se sont laissés faire… Ils ont tout simplement laissé en eux de l’espace pour que Dieu soit Dieu en eux.

 

La foi, n’est donc pas le pauvre envers du doute. La foi n’a rien à voir non plus avec l’adhésion à une doctrine ; un énoncé de choses que je crois ou ne crois pas sur Dieu ; la foi n’a rien à voir avec un sentiment plus ou moins vague que oui, sans doute, quelqu’un, quelque chose, quelque part, etc. etc.

Non, la foi n’a rien à voir avec ces pauvres ersatz. La foi désigne toujours une puissance. Une puissance à l’intérieur de nous qui nous anime envers et contre nous et envers et contre tout et qui nous pousse à faire les choses les plus folles comme demander la guérison quand on est condamné, briser les barreaux de la cage quand on est enfermé ; hurler quand on est bâillonné et relever la tête quand on nous l’enfonce dans le sable.

Oui ; la foi nous permet les choses les plus folles et les plus intattendues, les plus impossibles comme de dire à un arbre : tire-toi de là et va dans la mer.

Ainsi, on comprend mieux je crois cette parabole du serviteur inutile qui suit immédiatement et les pasteurs adorent servir le jour de leur retraite. Ils ont raison. Car ils savent bien, eux, qu’ils n’y sont pas pour grand chose, de tout ce qu’ils ont pu faire et qu’il serait bien mal venu d’attendre ou d’exiger quelque reconnaissance que ce soit quand ils savent bien que c’est à eux, au fond, de tomber à genoux pour s’émerveiller des grâces reçues, c’est à dire de tout ce qui est passé par eux sans qu’ils l’aient ni prévu, ni voulu ni même espéré. Et ce qui est valable pour les pasteurs est aussi valable pour chacune et chacun d’entre nous qui sentons cette foi travailler et nous travailler la tête, les tripes, les bras, les jambes, les cœurs et finir par produire les chefs-d’œuvres dont nous pouvons être les plus fiers.

«Tout est possible à celui qui croit, c’est à dire à celui ou à celle que la foi habite » dira un jour le Christ à ses disciples. Ce qui ne veut pas du tout dire que celui qui croit détient le pouvoir de Dieu mais que le pouvoir de Dieu tient celui ou celle qui croit.

Il y a une autre parole du Christ, qui est l’envers de celle-ci, une parole parfaitement poignante, crépusculaire attestée dans chacun des évangiles, au moment où il sait sa mort inéluctable : « Quand le fils de l’homme reviendra, trouvera-t-il encore de la foi sur la terre ? »  C’est à dire : trouvera-t-il encore des gens qui font confiance à la puissance de l’amour, à la puissance de la vie, à la puissance du doux plutôt que du dur ? Trouvera-t-il des gens dans la vigne du monde qui s’emploient à guérir plutôt qu’à meurtrir, à laver plutôt qu’à salir, à construire plutôt qu’à détruire ; à partager plutôt qu’à capitaliser ? A libérer plutôt qu’à culpabiliser ? A aimer plutôt qu’à haïr ? Trouvera-t-il des bons samaritains sur les chemins dangereux et incertains de la vie plutôt que des pharisiens dans les temples, les églises, les synagogues et les mosquées engoncées dans leurs robes d’apparat et leurs certitudes rancies ? Trouvera-t-il des braves gens qui dans l’anonymat des villes et des campagnes sauront vivre la dignité de l’Evangile en n’ayant jamais ouvert une page des saintes écritures?  Trouvera-t-il des porteurs sains de ce virus étrange et communicatif qui s’appelle la foi et qui nous travaille tout autant qu’il travaille le monde sans qu’on sache jamais vraiment d’où vient cette source de vie qui coule avec tant d’abondance sur les lieux les plus déshérités de notre monde ?

Personnellement, je n’ai pas aucun doute et c’est sans état d’âme que je réponds oui à chacune de ces questions. « D’une certaine manière, l’ère chrétienne, je veux dire celle de la vie commence à peine » (Michel Serres) et Jésus peut dormir en paix la vérité de sa parole n’ayant jamais connu un si éclatant succès qu’aujourd’hui. 

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