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10:00| | Prédications | Emmanuel Rolland

« Je ne suis pas venu
abolir… » Mt 5, 17-37 avec Siracide 1, 14-20 et 26 et 1 Corinthiens 2, 6-8

Voici une page d’Evangile qui se passe de tout commentaire. Elle n’est pas à analyser ; elle est à obéir. A écouter et appliquer sans répliquer. Mais cette parole abrupte, qui semble d’un premier abord aussi vertigineuse que la face Nord de l’Eiger, offre quelques prises pour s’y accrocher. Je me bornerai ce matin à vous vous en signaler deux, peut-être trois. Nous ne parviendrons pas au sommet mais au moins, nous nous serons mis en piste.

La première prise est liée au contexte : il confirme ce que nous savons tous plus ou moins déjà mais qu’il n’est jamais vain de répéter, à savoir que dans la Bible, que ce soit dans le Nouveau ou l’Ancien Testament, la loi n’est pas une parole première, c’est toujours une parole seconde.

Je m’explique : Si vous ouvrez la première page de la Bible, au livre de la Genèse, vous ne trouvez pas les 10 commandements, ni même le premier commandement. Quand vous l’ouvrez et que vous commencez à lire, vous tombez sur cette phrase qui scande tout le récit de la création originelle, c’est la formule « Dieu vit que cela était bon ». Avant la loi, avant toutes choses, la bonté de la création est affirmée.

 

Dans la bible, la création n’est donc pas présentée comme un lieu abandonné à l’empire du mal et du malheur qu’une loi devrait corriger et améliorer ; c’est d’abord et avant tout, de manière première et primordiale, un lieu de bonté, un lieu de beauté qu’il revient à l’homme de préserver. C’est le destin sacré confié à l’humanité, la vocation profonde de chaque être humain : garder, préserver, entretenir, prendre soin… La loi vient après. Elle donne la feuille de route, la boussole, le repère pour mener à bien la mission. C’est donc bien une parole seconde qui offre un manuel de savoir-vivre pour que ce monde bon par nature, excellent, le demeure et soit entretenu comme tel.

 

Dans cette page que nous méditons aujourd’hui, le même procédé est à l’œuvre. Au commencement, avant même l’expression de la loi, nous trouvons l’expression de  la grâce, nous trouvons des paroles qui affirment la bonté fondamentale de la créature : « Vous êtes le sel de la terre ; vous êtes la lumière du monde ».  C’est ainsi que là aussi, « ça » commence, c’est par là que tout commence : avant la loi, l’affirmation d’un amour, d’un émerveillement, d’un enthousiasme premier. La loi n’est pas là pour faire advenir la lumière, mais pour l’empêcher de s’éteindre ; elle n’est pas là pour venir donner du goût au sel, mais pour l’empêcher de s’affadir.

Tout ceci ouvre une première perspective : La loi soumise à notre attention et proposée à notre obéissance est une loi qui tire son origine d’une parole d’amour. On peut donc d’autant mieux y souscrire qu’elle s’inscrit dans cet amour originel, primordial et parfait. Elle ne naît pas d’un désir d’opprimer et de contraindre, de martyriser et d’écraser mais d’élever et d’augmenter. La loi divine, loin d’étouffer oxygène. C’est la raison pour laquelle quelqu’un comme Emmanuel Lévinas peut écrire : « Obéir au plus Haut, c’est être libre »

La deuxième prise qui s’offre à nous, part d’une une question : De quoi parle Jésus quand il parle de cette « loi qu’il n’est pas venu abolir mais accomplir », cette loi dont il ne faut surtout rien enlever, pas un iota, pas un alinéa, alors qu’il prendra des libertés telles avec cette loi, qu’on portera très vite contre lui l’une des plus graves accusations qui soit : celle de blasphémer.

Lui qui provoquera par exemple un beau scandale en se mettant à pardonner les péchés alors que n’est-ce pas, « qui peut pardonner les péchés sinon Dieu seul ? » ; N’est-il pas justement écrit dans la loi que c’est une frontière qu’aucun mortel ne peut franchir ?

Puis, on le trouvera plusieurs fois en compagnie de gens dont la loi interdisait la fréquentation – des collabos, des prostituées, des lépreux – ignorait-il que les règles de pureté en vigueur à l’époque interdisaient de telles relations ?

Et voici qu’en plus il laissera ses disciples glaner à travers champs en plein jour du sabbat ; qu’il ira même jusqu’à défier les pharisiens en leur demandant en pleine synagogue, en plein Sabbat s’il est permis oui ou non de guérir quelqu’un un jour de Sabbat.

Quiconque fréquente les évangiles sait que la liberté qu’il prend avec la loi finira par le condamner à mort.  Alors que veut-il dire quand il parle de la loi que rien ne saurait abolir tant que le ciel et la terre existeront, lui qui est né hors-la-loi ; lui qui est mort, hors-la-loi ; lui qui sa vie durant ne cessa de vivre en opposition radicale avec les gardiens de la loi, dans une opposition toujours plus vive, toujours plus affirmée, toujours plus féroce, qui culminera par les fulminations contre les scribes et les pharisiens sur un long chapitre brûlant où il les insultera avec une violence que rien ne contiendra plus, allant jusqu’à les traiter d’assassins. « Serpents, engeances de vipère, comment pourrez-vous échapper à l’enfer qui vous est réservé ? J’ai envoyé vers vous des prophètes, des sages, des scribes. Vous les tuez et vous les crucifiez, vous les flagellez dans vos synagogues et vous les pourchassez de ville en ville. (Au nom de quoi ? Au nom de la loi bien sûr !) Tout le sang des justes répandu sur la terre retombera sur vous, depuis le sang d’Abel, le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez assassiné entre le sanctuaire et l’autel » (Mt.24, 32s).

 

Ce sont des pages que nous ne commentons jamais et c’est bien dommage car elles s’adressent directement à nous, les religieux, lorsqu’au nom de la loi, au nom de la sacro-sainte tradition, nous repoussons, nous rejetons, nous excluons, nous excommunions et parfois, nous assassinons, avec la bonne conscience des gardiens du temple et des cerbères du patrimoine.

C’est très fort que Jésus identifie cette violence-là, la violence religieuse, à la violence de Caïn, à l’égard d’Abel. Une violence dirigée contre le frère, le frère de sang, peut-être la pire et la plus incompréhensible de toutes.

Jésus sait donc bien de quelle violence la loi peut être porteuse.

Alors, pour en revenir à notre question de départ, de quelle loi parle-t-il quand il parle de cette loi qui restera valable tant que le ciel et la terre dureront, cette loi dont pas un seul iota, pas un seul point ne disparaitra jusqu’à ce que tout se réalise ? Cette loi qu’il n’est pas venu abolir mais accomplir ? Cette loi qui contient en elle un potentiel inépuisable d’énergie, puisqu’elle est appelée à se développer, à s’étendre, à se réaliser pleinement ?

A-t-elle à voir avec la Sagesse, cette espèce de loi naturelle, de « volonté de Dieu » qui présiderait aux destinées de l’univers que semblent évoquer le Siracide et l’apôtre Paul, idée très à la mode dans le judaïsme du 1er millénaire ?

Nous ne pouvons ici que nous aventurer dans le domaine des hypothèses,

la plus crédible est encore celle que Jésus nous offre lui-même quand il prononce la règle d’or, au moment d’achever le Sermon sur la montagne : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux vous aussi : voilà ce que disent la loi et les prophètes ». Je souligne : « Voilà ce que disent la loi et les prophètes ».

 

Et c’est ainsi que Jésus contient toute la loi et les prophètes : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux vous aussi. »

 

Dans les trois autres évangiles, ça donne ceci :

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force et ton prochain comme toi-même ».

 

C’est le grand basculement :

Vous voulez être accueillis ? Accueillez !

Vous voulez être aimés ? Aimez !

Vous voulez être respectés ? Respectez !

Vous voulez être écoutés ? Écoutez !

 

C’est le « n’attendez plus qu’on vous fasse justice, faites-la vous-même. Ne soyez plus passifs, devenez acteurs. N’attendez rien, faites.

Ce que vous désirez, donnez-le. C’est la constitution du Royaume des cieux. La constitution au sens politique mais aussi au sens concret. C’est ainsi que le Royaume se constitue.

 

Aucun commandement ne devient obsolète et tous ils deviennent caduques parce qu’ils ne suffisent plus. Il ne suffit plus de ne pas tuer ; il ne suffit plus de ne pas commettre d’adultère ; il ne suffit plus de ne pas se parjurer ni de ne pas répudier sa femme ; même s’il ne faut toujours pas, il ne suffit plus de ne pas ; encore faut-il faire, aux autres, ce que je voudrais recevoir d’eux. Avec un tel principe, il est impossible de borner la loi à des commandements, aussi nombreux fussent-ils. Je n’attends plus la justice, je la pratique, je l’exerce.

Jésus s’ingéniera toute sa vie à tenir la loi et les prophètes dans une phrase simple sans un mot de trop. Et de cette réduction là, il est bien entendu qu’il n’y a en effet rien plus rien à enlever puisque c’est un principe infini ; puisque nous n’avons jamais fini et nous n’aurons jamais fini de faire aux autres ce que nous voudrions recevoir d’eux ; puisque nous n’en aurons jamais fini avec l’art et la manière de les aimer.

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