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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Culte du 9 janvier 2022

Jean baptise le peuple, toutes celles et ceux qui viennent à lui. A quoi peut bien servir ce baptême ?

Dans la Judée de l’époque, il y a un courant de pensée très fort qui relit l’histoire d’Israël sous l’angle d’une action rétributive de Dieu : quand on respecte les lois de Dieu, on prospère ; quand on s’en éloigne, Dieu punit. Dans cette lecture, une situation difficile est une punition de Dieu, et pour en sortir il faut se repentir, demander pardon à Dieu, revenir au respect des lois pour que Dieu offre à nouveau sa protection. Cette lecture très présente opère d’abord au niveau collectif, et, de plus en plus à l’époque de Jésus, aussi au niveau individuel.

Avec ces lunettes-là, l’époque de Jésus est visiblement une époque où Dieu est en colère contre son peuple puisqu’Israël est sous la coupe, depuis de nombreuses années, des Romains. Comme dans toute situation de colonisation, il y a celles et ceux qui tirent leur épingle du jeu, celles et ceux qui en souffrent, celles et ceux qui ne voient pas la différence dans leur quotidien tellement dur, celles et ceux qui résistent par tous les moyens. Parmi celles et ceux qui souffrent, et parmi celles et ceux qui résistent, il y en a qui se tournent vers Dieu, qui cherchent à l’apaiser, à le faire revenir de sa colère selon l’expression biblique, pour s’attirer, soit individuellement soit collectivement, ses bonnes grâces et sa bénédiction.

C’est à ces personnes-là que Jean s’adresse : il prêche la metanoia. Nos traductions moralisent bien souvent ce terme, en parlant de repentance. Le terme grec évoque plutôt un « esprit retourné », remis à neuf. Dans la prédication de Jean le Baptiste qui précède immédiatement notre passage, on le voit invectiver les foules, les traitant de « race de vipère » parce qu’elles cherchent à fuir la colère de Dieu en venant vers lui. Il invite, sans attendre, à « produire de bons fruits », c’est-à-dire à s’aimer les uns les autres, à partager ce qu’on a, à ne pas exiger des autres l’impossible, à ne pas se charger les uns les autres de devoirs, de colères. Et il accompagne ses paroles d’un acte symbolique : un plongeon dans les eaux du Jourdain. Que dit ce geste de se baigner, de se laver ? Quand on se plonge dans l’eau, on se lave. Le geste symbolique proposé par Jean vient nous dire que Dieu nous lave de quelque chose. Mais de quoi ? De nos péchés ? Ou de notre péché ? La distinction entre pluriel et singulier est ici importante : quand on parle de péchés au pluriel, on entend la plupart du temps des fautes morales et religieuses, dont l’étendue varie avec le temps, en fonction de la culture environnante. Ce n’est pas de cela que lave le baptême. Quand on parle de péché au singulier, on entend plutôt le fait de se tromper de Dieu, de le comprendre de manière faussée. On cherche Dieu et en chemin on s’égare, on se tourne vers une idole. C’est plutôt de cela que lave le baptême. De cette vision selon laquelle Dieu agit en rétribuant positivement les bons comportements et négativement les mauvais. De cette vision selon laquelle Dieu est lointain, ne se laisse pas approcher sans des règles strictes de pureté physique, morale et spirituelle.

Nous avons tellement été habitués à entendre le jugement comme une menace qui sépare les bons des méchants, récompensant les uns, punissant les autres, qu’il nous est presqu’impossible d’entendre autre chose dans l’image qu’utilise Jean du vannage du grain, alors que la prédication de Jean Baptiste est explicitement qualifiée de bonne nouvelle – c’est-à-dire en grec d’Evangile.

Mais si on prend la peine de déposer nos lunettes jugeantes, que voit-on dans cette image ? Un processus de tri entre la partie comestible du grain, celle qui pourra servir à nourrir humains et animaux, et les parties non comestibles qui peuvent servir à produire de la chaleur et de la lumière. Ce n’est pas entre les grains que s’effectue le tri, mais pour chaque grain entre ce qui est comestible et ce qui ne l’est pas. Dit autrement : le tri ne s’effectue pas entre telle et telle personne, entre vous et moi, entre vous et la personne assise à côté de vous, entre nous qui sommes ici ce matin et les personnes qui ont choisi ce matin d’aller plutôt skier ou de rester au chaud sous la couette. Il s’effectue dans chaque personne entre ce qui est comestible, ce qui fait grandir, ce qui peut aider d’autres directement, et ce qui n’est pas comestible, ce qui blesse, ce qui erre, et peut passer dans le feu pour produire au moins de la lumière, de la chaleur et de l’engrais.

C’est là qu’est la bonne nouvelle : il n’y a pas à craindre d’être du mauvais côté. Il y a à se réjouir de l’aide de Dieu, de son soutien à ce qui en nous porte la vie, à lui faire confiance pour que ce qui en nous tire vers la mort soit écarté et brûle au feu de son amour.

C’est cela qui nous est rappelé par le baptême.

Pause musicale

Mais alors, comment comprendre que Jésus lui-même soit baptisé ? A-t-il donc besoin d’être lavé lui aussi de fausse compréhension de Dieu ? A-t-il besoin que Dieu fasse le tri à l’intérieur de son être ? Selon la compréhension que vous avez de Jésus, ces questions sont plus ou moins choquantes.

Bien sûr il y a beaucoup de manières différentes de comprendre Jésus, y compris à l’intérieur du christianisme. Si nous prenions maintenant le temps d’y réfléchir d’abord chacun pour nous-mêmes puis d’échanger ne serait-ce qu’avec trois ou quatre personnes autour de nous, il est certain que nous constaterions des différentes importantes entre nos compréhensions de Jésus. Que faire de ces différences ? Faut-il nous jeter mutuellement des anathèmes, nous exclure, nous insulter ? La Bible elle-même dédramatise la chose : nous avons 4 évangiles, et non pas un seul. Chacun des 4 évangiles nous donne à voir un Jésus un peu différent. Le Jésus de Marc n’est pas le Jésus de Jean, celui de Matthieu n’est pas celui de Luc. Et c’est tant mieux à mon avis. Cela nous invite à réfléchir à qui est Jésus pour nous personnellement, et à entretenir une relation personnelle, une quête personnelle, en écho et en dialogue avec celles et ceux qui nous entourent et qui nous ont précédé.

Revenons-donc à notre récit du jour et à cette incongruité du baptême de Jésus par Jean. L’épisode est raconté par les 4 évangélistes, et il est assez dérangeant : reconnaître que celui qu’on appelle Messie, oint de Dieu, a eu besoin du baptême de conversion prêché par Jean, ou au minimum a accepté de le recevoir, c’est quand on y pense assez scandaleux… Dans d’autres évangiles on voit d’ailleurs Jean hésiter et Jésus insister. Rien de tout cela ici.

Le récit de Luc est très sobre : « quand tout le peuple est baptisé, Jésus aussi est baptisé. » Il n’y a pas dans le grec de notion de succession des événements, mais plutôt une concomitance : alors que tout le monde reçoit le baptême, Jésus aussi. Jésus se place dans la foule, comme tout le monde, il se fait l’un d’entre nous, l’un d’entre les hommes et les femmes du peuple d’Israël. Il endosse la démarche de réfléchir sur le Dieu auquel on croit et ce qu’on attend de lui. C’est donc un Jésus plutôt humain qui nous est présenté par Luc. Il se fond dans la foule, dans le mouvement, et il n’est fait mention d’aucun échange particulier entre Jean et Jésus.

Après le plongeon dans le Jourdain, Jésus prie, c’est-à-dire qu’il s’adresse au Dieu qu’il cherche, au Dieu auquel il voudrait croire, au Dieu dont il se sent, confusément ou pas, l’envoyé. Il s’adresse à lui, et cela nous dit que le baptême qu’il vient de recevoir n’est pas une fin en soi, un point d’arrivée, mais bien plutôt un point de départ, une mise en route.

C’est la première fois dans l’évangile selon Luc qu’on voit Jésus prier : la relation personnelle avec Dieu se noue à ce moment-là. C’est bien ce que Jean visait avec sa prédication : il prêche un bain qui conduit à la metanioa, une conversion intérieure qui retourne la façon d’être et remet en relation avec le Père. Jésus vit cela dans son être : il se met, après ce plongeon dans le Jourdain, à s’adresser directement à ce Dieu qui guide sa vie. Et là le récit bascule dans autre chose : il y a le ciel qui se déchire, l’esprit qui descend sous la forme d’une colombe, et cette voix qui se fait entendre. Le ciel qui se déchire et la voix sont des manifestations « habituelles » de présence de Dieu. Dans la représentation antique, le ciel est comme une tente tendue au-dessus de la terre, derrière laquelle se trouve le monde du ou des dieux. Dire que le ciel se déchire, c’est donc dire que ce qui tenait Dieu séparé, éloigné des hommes, est ouvert : il y a maintenant une communication facilitée entre le monde de Dieu et le nôtre ou mieux, les deux mondes n’en font plus qu’un. La voix nous rappelle le mode d’action de Dieu : une incitation, un appel, non pas une contrainte, une contention. La colombe enfin, que nous avons appris à associer à la paix. Evidemment, la colombe fait référence à l’épisode de l’arche de Noé : Dieu, en colère, avait envoyé un déluge sur le monde des humains, et seuls Noé, sa famille, et un couple de chaque espèce animale avaient été sauvés. La colombe avait été lâchée depuis l’arche pour chercher la terre ferme après la fin du déluge. Dire que l’Esprit de Dieu descend sous la forme d’une colombe, c’est donc renvoyer à ce moment où Dieu a juré de ne plus se mettre en colère comme ça, à ce moment où il a fait – unilatéralement et sans condition – vœu de paix avec l’humanité. Si vous avez eu des enfants, c’est comme quand vous passez d’un état d’esprit où vous dites « je serai sympa avec eux quand – au choix – ils auront rangé leur chambre, fait leurs devoirs, débarrassé la table, cessé de faire du bruit sans arrêt » à un état d’esprit où vous dites « ok, la vie avec les enfants c’est comme ça, je vais être sympa avec eux parce que je les aime ». C’est à cette paix là que renvoie l’image de la colombe : une paix sans condition.

La voix s’adresse d’abord à Jésus. Dans Luc, il n’est pas fait mention que la voix soit entendue, ou la colombe vue par quelqu’un d’autre que Jésus. Cela s’adresse d’abord à lui, comme un secret d’amour enfin murmuré doucement à l’oreille : on le pressentait, mais on n’osait y croire… et voilà c’est dit, c’est vrai ! Tu es mon fils très aimé !

Ce baptême que vient de recevoir Jésus l’a mis en route vers la prière, la prière lui a permis d’entendre ce secret d’amour… et ce secret d’amour lui donne l’élan d’un nouveau commencement de sa vie. Le verset qui suit immédiatement notre récit est d’ailleurs « lui-même Jésus était âgé d’environ trente ans lorsqu’il commença. » Oui, ce jour-là un nouveau chemin s’ouvre. Non pas une arrivée, mais un point de départ.

Que nous ayons reçu le baptême ou non, que nous l’ayons reçu nourrisson, enfant, adolescent ou adulte nous sommes enfants de Dieu, là n’est pas la question. La question c’est de se l’entendre dire, et de pouvoir vivre comme tel. A cela certains outils peuvent aider. Le baptême en est un quand il nous met en route vers une relation personnelle avec Dieu. La prière en est un autre, personnelle et communautaire. La participation au culte. La lecture de la Bible, la méditation de tel ou tel passage qui nous touche, nous dérange ou nous enthousiasme. La réflexion, la recherche. Toutes ces choses sont des moyens pour vivre en hommes et femmes libérés de ce qui nous entrave, en fils et filles de Dieu, et non en esclaves de nos désirs, de ceux qui nous sont imposés, en victimes éternelles de nos blessures, en coupables écrasés par nos fautes.

Amen

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