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10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Culte du 12 septembre
2021

Si on va un peu vite, Jésus semble dans ce récit procéder à une sorte de sondage d’opinion pour mesurer sa popularité. Certes les professionnels des instituts de sondage contesteraient sans doute la validité de sa méthode, mais enfin, comme le ferait un président français commandant un sondage à l’IFOP pour mesurer ses chances de réélection, comme une jeune fille dans la cour du collège demande à ses amies ce que les autres disent d’elle pour mesurer sa popularité et ses chances de séduction, Jésus demande à ses disciples ce qu’on dit de lui, ce que les gens pensent de lui, quelles étiquettes on lui colle. Ça ressemble un peu narcissique, qui cache un besoin de réassurance, un besoin d’être rassuré sur ce qu’on est, sur ce qu’on vaut.

C’est d’ailleurs dans ce sens que les disciples semblent comprendre la question de Jésus. Avec ce récit, nous sommes au milieu de l’Evangile de Marc, à mi-chemin du ministère terrestre de Jésus, qui est bien conscient qu’on parle beaucoup de lui, et pas toujours en bien. Pourtant les disciples ne lui rapportent que des qualificatifs positifs : Tu es Jean le Baptiste, Elie, ou un autre prophète. Jean le baptiste, mis à mort par Hérode, ou Elie, l’un des plus grands prophètes du peuple d’Israël, dont la tradition rapporte qu’il n’est pas mort mais enlevé au ciel, sont des identifications flatteuses : ces deux personnages, l’un ancien, l’autre contemporain, ont joui d’une grande aura, ont bouleversé le cours de la vie des gens qu’ils ont rencontrés. Ils ont été de grands prophètes. Dans la Bible, un prophète ce n’est pas quelqu’un qui annonce l’avenir, mais quelqu’un qui porte aux humains une Parole de la part de Dieu, une Parole qui dit ce qui est, qui dit ce qui sera si rien ne change, et qui appelle au changement pour aller vers la vie. En général, les prophètes sont mal vus des autorités politiques et religieuses, parce qu’ils n’hésitent pas à pointer du doigt les incohérences, les injustices, les absurdités, les dérives. Proches des plus faibles, ils dérangent les puissants et rencontre souvent une opposition musclée qui peut aller jusqu’à la mise à mort, comme ça a été le cas pour Jean Baptiste. Bien sûr, les disciples espèrent très fort une autre fin pour Jésus.

Mais si à vues humaines le sort de Jean le baptiste est peu enviable, pour qui prétend se mettre au service de Dieu, être identifié Jésus à Elie, Jean ou un autre prophète, c’est donc plutôt positif et flatteur, et cela semble correspondre à ce que Jésus veut voir mettre en avant de son ministère. En effet, dans l’Evangile de Marc comme dans les autres, on voit souvent Jésus accomplir des guérisons, mais il ne veut pas s’en vanter et il recommande avec insistance aux bénéficiaires de ces guérisons de se taire, de ne pas en parler. En rapportant à Jésus qu’on parle de lui comme d’un prophète, les disciples pensent donc sans doute lui faire plaisir. Et ils omettent, à coup sûr volontairement puisqu’ils ne peuvent pas les ignorer, un certain nombre d’autres qualificatifs qui circulent sur Jésus : celui de guérisseur, flatteur lui aussi mais auquel il ne veut manifestement pas être réduit. Mais aussi d’autres plus critiques, voire insultants : on parle de lui comme d’un fou – on voit sa famille vouloir le récupérer au prétexte qu’il a perdu l’esprit – comme d’un troublion, d’un danger pour les autorités – ses affrontements avec les pharisiens et les prêtres en témoignent, tout comme la décision finale de le faire arrêter et mettre à mort par les romains. On parle aussi de lui comme du fils de Marie, manière insultante hier comme aujourd’hui de dire qu’il n’a pas de père, que sa mère n’a pas d’honneur et donc lui non plus. Tout cela, les disciples le laissent de côté à ce moment-là pour présenter à leur maître un tableau rassurant de son ministère.

Mais ce n’est pas ce que cherche Jésus, la suite du texte le montre. Il est bien conscient de ces étiquettes qu’on lui colle, de ces étiquettes qui commencent non seulement à l’étouffer lui mais à obscurcir le regard des personnes qu’il rencontre, des disciples qui le suivent. Car toutes ces étiquettes, toutes ces voix qui parlent de lui, qui parlent sur lui, commencent à empêcher la rencontre vraie, à la rendre plus difficile en tout cas. En demandant à ses disciples ce qu’on dit de lui, il ne cherche pas à mesurer sa popularité, mais à aider ses disciples – pour commencer – à laver leur regard de toutes ces étiquettes, interrogations et doutes. Et pour cela, la première étape est d’en prendre conscience, de les nommer.

Au moment où Jésus les interroge, ils doivent en effet conscientiser ce qu’ils ont entendu. Et ils y font le tri pour répondre à ce qu’ils pensent être l’attente de Jésus. Mais l’attente n’était pas celle-là et il leur pose une nouvelle question : « et vous, qui dites-vous que je suis ? ». Les voilà mis face à eux-mêmes, à leur vision de cet homme étrange qui les a appelés, qu’ils ont décidé de suivre sur les routes de Galilée sans trop savoir pourquoi, qu’ils ne comprennent pas toujours, qui les entraîne vers ils ne savent trop où ni quoi, même s’ils ont sans doute des attentes, des espérances plus ou moins avouées. Dans le flou des opinions extérieures, dans les espoirs cachés, les voilà invités à risquer une parole propre.

C’est Pierre qui répond le premier. « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant. »

Avec cette réponse, on est dans tout autre chose que dans les étiquettes que les uns et les autres mettent sur Jésus et qui le réduisent à du connu, à du déjà vu, que ce soit positif comme Elie, ou négatif comme la folie. Pierre dit : « Tu es le Christ. » Ici on a du jamais vu, du jamais entendu. Christ en grec, messie en hébreu, ça veut dire celui qui a reçu l’onction d’huile, qui était un signe de la bénédiction divine qui reposait sur quelqu’un. Au lieu de fonder l’identité de Jésus sur ce qu’il perçoit de lui dans leur relation ou dans ce que d’autres disent de lui, Pierre le situe uniquement par rapport à Dieu. Et il complète : tu es le Fils du Dieu vivant. La bénédiction reçue par Jésus n’est pas celle accordée à un étranger, mais celle réservée au fils de la maison, par laquelle la force et les qualités du père passent dans le fils. Dire que Jésus est le Fils du Dieu vivant, c’est dire que la puissance qui passe du père au fils c’est la puissance de la vie elle-même. C’est donc dire que Jésus excède toutes les étiquettes, toutes les définitions, il est le passeur de vie qui toujours fait jaillir du neuf, de l’inattendu, de la vie.

Avec la question de Jésus, Pierre a pu désencombrer son regard pour en écarter toutes les images de Jésus, les siennes et celles des autres, qui se superposaient à Jésus lui-même, pour retrouver son identité profonde, ce qui est inscrit au plus profond de son être et qui empêche que ces images et définitions soient trop adhésives : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Tu es libre de tous les déterminismes auxquels nous voulons te réduire, de toutes les attentes auxquelles nous voulons te cantonner, tu es la vie qui passe et qui appelles la vie en moi.

Pendant un instant, Pierre voit Jésus du même regard que Jésus voit Pierre.

Ça ne dure pas : quand Jésus explicite ce que sera pour lui sa manière de vivre la filiation divine, Pierre s’insurge. Être le Fils du Dieu vivant ne peut pas vouloir dire aller vers la mort, il en est sûr. Il sait ce que Jésus doit être, ce que Jésus doit faire. Il sait mieux que lui. Il sait à sa place. Après son expérience fulgurante de poser sur jésus un regard qui libère, le voilà qui retombe un regard limité et limitant.

Jésus refuse de se laisser enfermer par la représentation que Pierre se fait de la mission d’un Fils du Dieu vivant. Il suivra sa route, à sa manière. Et il invite chacun, chacune à faire de même : à soulever notre croix, au lieu de nous laisser écraser par elle. Si on garde l’image que j’ai utilisée aujourd’hui : il nous invite à retrouver de la liberté par rapport aux étiquettes que nous nous attribuons ou que d’autres nous attribuent. Cette liberté retrouvée rend la marche en avant possible, nous sort du déjà connu, de la souffrance, des loyautés dépassées ou mal comprises. Oui, Jésus nous invite à nous remettre en marche à sa suite, c’est-à-dire à nous souvenir que nous sommes, avant toute chose, des fils et des filles du Dieu vivant.

Il nous invite à convertir notre regard, à vivre nous aussi cette sorte de fulgurance précieuse qu’a vécue Pierre et à apprendre à le pérenniser, pour nous regarder les uns les autres, pour nous regarder nous-mêmes, de ce regard qui rend libre, de ce regard qui aime et qui appelle à vivre. Ce même regard dont Jésus regarde toutes les personnes qu’il rencontre, ce même regard que Dieu pose sur vous, sur chacun, sur chacune.

Amen

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