No Video Files Selected.
10:00| | Prédications | Sandrine Landeau

Col 1,12-29 et Mt 9,35-38

Nous nous lamentons pour les personnes qui sont forcées de se déplacer à cause de la crise climatique, des guerres et des conflits ou de l’oppression qu’elles subissent, notamment au Moyen-Orient, dans les îles du Pacifique, dans beaucoup de pays d’Afrique et d’Amérique Latine.

Nous nous lamentons pour la dégradation de la nature pour satisfaire les profits humains, et pour la persécution des activistes écologistes qui osent élever la voix contre cette situation.

Nous nous lamentons pour l’influence du greenwashing dans nos communautés chrétiennes, qui instrumentalise les enjeux climatiques pour des profits économiques.

Nous nous lamentons pour le colonialisme vert qui conduit à l’appropriation des terres de peuples indigènes, par exemple les Samis et les Massaïs, pour des technologies soi-disant vertes.

Nous nous lamentons pour le déplacement forcé de peuples indigènes loin de leurs terres, et pour la perte d’identité et de connaissances qui nous aideraient à vivre mieux sur notre terre commune dans le respect et la connaissance des limites à ne pas dépasser.

(…) »

Ces cinq lamentations sont extraites d’une liste de 19 qui concernent d’autres sujets notamment de justice sociale ou économique. Elles ont été rédigées par les 400 jeunes venus du monde entier participer à la préassemblée de Karlsruhe et font partie d’un message adressé à l’assemblée générale du COE. Les jeunes ont voulu exprimer par là une part de leur désespoir et le déposer à la fois devant Dieu et devant leurs aînés dans la foi.

Ce n’est peut-être pas la première chose à laquelle vous auriez pensé spontanément, mais la lamentation est l’une des ressources du christianisme face à la crise écologique. La lamentation n’a pas bonne presse : elle est perçue comme une plainte sans fin, presque complaisante envers la douleur qu’elle exprime, qui ne fait qu’entretenir une humeur noire et couper les élans d’action. En milieu chrétien, on entend parfois qu’elle est le signe d’un manque de foi ou d’espérance. Le texte des jeunes à Karlsruhe n’a d’ailleurs pas été bien reçu par tout le monde : certains leurs ont dit qu’ils et elles étaient trop négatifs et négatives, qu’ils et elles ne proposaient rien de concret, qu’ils et elles ne faisaient que se plaindre et que – passez-moi l’expression – ça ne faisait pas avancer le schmilblick.

Pourtant, la Bible n’est pas avare en lamentations, depuis les célèbres lamentations de Jérémie, jusqu’à la lamentation de Jérusalem en passant par les psaumes de plainte et de lamentation et la plainte d’Anne, la mère de Samuel. La tradition chrétienne nous témoigne aussi d’une pratique vive de la lamentation, jusqu’à cette prière que vous avez entendue tout à l’heure et que j’ai empruntée à un recueil d’OekoEglise.

En quoi la lamentation est-elle ressource ? D’abord parce qu’elle met des mots sur une situation qui fait souffrir et provoque douleur, tristesse, colère – ici la dégradation écologique causée par le mode de vie d’une partie de l’humanité : crise climatique, effondrement de la biodiversité, changement rapide d’usage des sols perturbant les grands cycles géochimiques. Nommer, c’est un passage obligé pour faire face aux obstacles, aux obscurités. Nommer ce qui fait mal, c’est lui attribuer une place, au lieu de lui laisser prendre toute la place quand on le laisse innommé, à la limite de la conscience, plus ou moins dans le déni ou quand on s’en attribue toute la culpabilité qui devient alors écrasante et paralysante. Nommer le mal dans la lamentation, c’est du coup libérer des forces et de l’énergie pour l’action. Nommer ce qui fait mal devant Dieu, c’est lui adresser cette plainte et lui demander son aide, même quand ce n’est pas explicité. C’est précisément le signe d’une foi qui est relation de confiance avec le Dieu biblique, celui qui promet la vie en abondance.

Adresser une lamentation à Dieu, c’est en effet lui dire à quel point l’écart entre la promesse de vie et sa réalisation est grand, à quel point il est douloureux. Se lamenter devant Dieu, c’est donc faire preuve d’une espérance active !

L’espérance, c’est la seconde ressource que je voudrais évoquer ce matin avec vous. Comme la lamentation, l’espérance n’a pas toujours bonne presse, notamment dans les milieux écologistes qui la perçoivent comme démobilisatrice, comme l’attente passive d’un coup de baguette magique qui va tout rétablir dans l’instant, sans effort et sans douleur. D’autres y voient une fuite facile hors d’une réalité trop dure, comme des œillères qui permettraient aux chrétiens d’avancer dans la joie et la bonne humeur quelles que soient les circonstances extérieures. C’est bien mal connaître ce qu’est l’espérance chrétienne et ce sur quoi elle porte. L’espérance est tournée vers l’advenue de Dieu, vers la Résurrection qui surgit là où régnait la mort, cherche la présence actuelle de cette advenue, de ce surgissement. L’espérance se souvient de la promesse de vie, et elle l’actualise. Elle pousse à agir aujourd’hui non en fonction du passé et du présent, mais en fonction de cet à-venir promis.

L’espérance est profondément insatisfaite du monde tel qu’il est, elle en souffre, elle a soif de la vie en abondance, de la grâce surabondante. C’est cette insatisfaction profonde du monde tel qu’il est, dysfonctionnant, malade de notre désir de puissance, de notre peur de manquer, de notre aveuglement aux besoins de nos frères et sœurs en humanité qui sont loin de nos yeux qui pousse à la plainte et à la lamentation. L’espérance transforme de l’intérieur la personne, la rendant un peu plus proche de l’humain véritable que Dieu espère en chacune, en chacune. L’espérance ouvre les limites des possibles, elle libère l’imaginaire, les rêves, elle rend sensible aux souffrances d’aujourd’hui et au souffle qui nous pousse en direction de la vie, elle voit les commencements nouveaux. Sans faire l’économie de la douleur, de la difficulté qui précède, comme la foi chrétienne sait que la résurrection ne fait pas l’économie de la croix ni ne la minimise.

L’espérance pose sur les êtres et les situations le regard que Jésus pose sur ces foules harassées, perdues comme des brebis sans berger et qui y voit une moisson abondante. La moisson, c’est ce qu’on récolte dans les fruits sont à maturité, prêt à nourrir humains et animaux, ou à être plantés pour porter à leur tour du fruit. Là où le regard humain n’aurait vu que les insuffisances de la foule rassemblée et sa fatigue ou aurait détourné le regard pour ne pas se confronter à sa propre impuissance, Jésus regarde, se laisse toucher, et voit une moisson abondante, déjà là mais encore à révéler. Là où notre regard humain hésite entre déni et désespoir face aux défis climatiques qui sont là, l’espérance regarde, se laisse toucher par les souffrances provoquées, et voit déjà le monde à venir, vibrant de vie et de cette joie parfaite promise, déjà là mais encore à révéler. Comme Jésus voit dans ces gens épuisés, errants, déboussolés – auxquels nous ressemblons tant – les humains vibrants de vie, de joie et d’amour qu’ils sont aussi et qu’il faut révéler. Et pour cela, il demande des ouvriers, des ouvrières pour la moisson. Quel est leur rôle ? Non pas faire pousser la moisson, elle est déjà là. Mais la récolter. Non pas réformer, faire la morale à ces gens épuisés et désespérés, ni les culpabiliser, mais leur montrer à quel point ils et elles ont en elles, en eux, l’élan de vie, la capacité de changer leurs habitudes, de renverser les tables qui doivent l’être, d’aimer leur prochain et de se décentrer de son confort. Nous sommes parmi ces gens déboussolés, et nous sommes appelés aussi à être ces ouvriers, ces ouvrières, ferments d’espérance pour notre monde, capable de se laisser émouvoir par la souffrance et de se mettre en route pour la soigner.

Non l’espérance n’empêche pas l’action, au contraire, elle la rend possible, comme en témoigne ce propos qu’on attribue à Martin Luther : « si on m’apprenait que la fin du monde est pour demain, je planterai un pommier ». Il ne s’agit pas de ne rien faire, ou pire de faire n’importe quoi puisque de toute façon tout est fichu. Il ne s’agit pas non plus de faire seulement ce qui a une chance de réussir pour économiser ses forces, mais de faire ce qui nous semble le plus juste au regard de la promesse qui nous a été faite et dont nous espérons la réalisation. Bien sûr que Luther, ou qui que soit l’auteur ou l’autrice de cette phrase, espère un monde dans lequel le pommier aura le temps de croître et de porter de belles et savoureuses pommes. Et au nom de cette espérance, il choisit de planter son pommier, même si à vue humaine cela n’a aucun sens. Mais même si ce monde ne voit jamais le jour, planter ce pommier reste un geste précieux et plein de sens.

Comme Jésus demande des ouvriers et des ouvrières pour ici et maintenant, pas pour quand la foule sera ailleurs, dans un autre monde ou un autre temps, Martin Luther plante son pommier ici et maintenant, pas dans un autre monde, dans un autre temps. Parce que l’espérance chrétienne n’est pas un autre monde, mais un monde à venir dans celui-ci, qui le renouvelle, qui fasse toute chose nouvelle. C’est ce qu’exprime le passage de l’épître aux Colossiens que nous avons entendue tout à l’heure : le Père nous arrachés aux ténèbres et nous a transférés dans son Royaume, dès ici et maintenant. Ce Royaume n’est pas à entendre pour après notre mort, ou pas seulement, il n’est pas situé dans un ailleurs lointain ou utopique – c’est-à-dire sans lieu. Il est pour ici : plus que Royaume, il est règne. Vivre comme citoyen.nes de ce royaume, c’est vivre en êtres humains libérés des ténèbres.

Les jeunes rassemblé.es à Karlsruhe vivent cette espérance profondément : ils et elles regorgent d’idées de pommiers à planter, et de bien d’autres choses, même – et peut-être surtout – alors qu’à vues humaines les chances de les voir grandir et porter du fruit sont minces ! Mais ils et elles ont cette espérance d’un monde réconcilié et ils et elles veulent choisir de vivre de cette réconciliation dès aujourd’hui, en espérant son plein accomplissement. C’est cette espérance qui ouvre leurs yeux sur les conséquences de la crise écologique – et des autres crises qu’ils et elles pointent – et, c’est elle qui leur fait ressentir tristesse et détresse devant cette situation terrible, c’est elle qui les pousse à soigner les blessures ouvertes, à devenir ouvriers et ouvrières pour cette moisson et à interpeller leurs églises, nos églises. Voici, pour terminer comme j’ai commencé, en leur laissant la parole, un autre extrait de leur texte. Saurons-nous vivre ensemble cette espérance ?

« Nous n’avons pas tous et toutes les mêmes blessures, mais nous reconnaissons les blessures du corps que nous formons ensemble et nous les présentons à Dieu dans la prière. Jésus Christ est capable de faire de ces blessures un tissage de rencontres, d’histoires partagées et de résilience. Nous prions et nous invitons tous les chrétiens à agir pour et avec leurs frères et sœurs en humanité, pour et avec toute la création, qui est en souffrance. (…)

Nous croyons et nous affirmons que la guérison de ces blessures est un processus, un voyage, et un chemin. Cela requière une communauté fondée dans l’amour du Christ, connaissant que sa passion, sa crucifixion et sa résurrection sont le don le plus grand pour relever tous les êtres humains de leurs plus profondes blessures et les transformer en force divine, participant du corps entier.

Aujourd’hui, nous, comme jeunes, demandons à l’Église de prendre le chemin de la guérison des blessures. (…) Nous sommes des dons pour l’Église et pour la société, en tant que membres du corps du Christ et nous demandons que ces dons soient utilisés dans nos églises. (…) Nous exhortons à utiliser nos voix prophétiques pour dénoncer les injustices (…). Nous sommes des présents pour le jour présent. Nous sommes là (…) plein.es de dons, empli.es de l’Esprit Saint. (...) »

Amen

Cookies

This website uses cookies. By continuing to browse the site you are agreeing to our use of cookies. Find out more