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10:00| | Prédications | Emmanuel Fuchs

Actes 4, 32-5

Audio culte du 29 septembre 2019

Le lectionnaire proposait comme texte du jour l’histoire du riche et de Lazarre ; or comme Emmanuel a déjà mentionné ce texte dimanche dernier et que j’avais déjà prêché sur ce texte il n’y a pas si longtemps, j’ai donc choisi de m’arrêter ce matin sur un texte un peu du même style et tout aussi compliqué…

Quel texte en effet que cette histoire d’Ananias et Saphira ; pas évident. On est très vite mal à l’aise, car quelle que soit notre aisance financière, nous avons tous un rapport ambigu avec l’argent, avec ce que nous possédons! Peu d’entre nous ont fait vœu de pauvreté et sont prêts à tout donner et pas forcément à tort.

Alors je pourrais ce matin choisir de souligner le caractère dramatique du texte et menacer quiconque ne donne pas avec entière générosité des foudres du Seigneur ... peut-être que notre trésorier serait content, mais je ne suis pas certain que tout le monde apprécierait et certainement pas moi ! Alors que faire avec un texte comme ça ? Quel est son statut, sa valeur ou son historicité ?

La première chose à souligner, c’est que nous ne sommes pas face à un contre-rendu historique d'un événement précis. Il y a du reste trop d'invraisemblances, comme le fait d’enterrer le mari sans même attendre ou informer son épouse ? Je prends ce texte plutôt comme une parabole peut-être (pourquoi pas ?) inspirée par un fait divers qui a marqué les esprits. Peu importe après tout.

Notre texte commence par la description idéale (idéalisée ?) de la vie de la première communauté chrétienne. Tout est bien dans le meilleur des mondes. Les biens sont partagés, l'unité règne, personne ne vit plus dans l'indigence. Cette description peut paraître bien utopique, voire irréelle, mais il n'est pas forcément interdit de penser que dans le cadre d'une communauté chrétienne naissante (et donc restreinte) une attention soutenue était accordée à ceux qui vivaient dans le besoin. Il devait certainement exister une caisse commune qui était alimentée au besoin par la vente de biens personnels qui permettait de subvenir aux besoins des plus pauvres. Dans une société si segmentée, voir assis à la même table juifs et païens, hommes et femmes, esclaves et hommes libres était tout à fait nouveau, révolutionnaire. Mais très vite néanmoins des difficultés apparaissent ; on le voit notamment dans les questions que Paul est appelé à traiter dans sa première lettre aux Corinthiens ; la différence de statut social ne s’efface pas si facilement et Luc, plus que tous les autres évangélistes, va insister dans ses écrits à plusieurs reprises sur la question des richesses et du rapport à l’argent. Il a cette prise  de conscience que les biens matériels créent des séparations et menacent donc l'unité de la communauté et donc la force et la pertinence du son message. Luc toutefois, ne propose pas un modèle économique proprement dit. Rien n'est dit sur les ressources ordinaires de chacun, rien ne concerne les « moyens de production ». Plus tard dans l'histoire du christianisme, il y a eu de nombreuses tentatives d’établir un système économique et communautaire où tous les biens étaient partagés. On peut penser aux différents courants monastiques, mais également à quelques mouvements protestants partis pour le Nouveau monde, comme les diggers ou les quakers entre autre.

Ici, il ne s’agit pas d’un modèle économique donc, mais une d’une exigence évangélique rappelée avec force qui demeure pertinente pour tout modèle économique quel qu'il soit, à savoir : chercher dans le contexte socio-économique propre les moyens d'éradiquer la faim, la misère, l'indigence ! C’est cette même volonté qui a incité Calvin à interdire à Genève la mendicité en redonnant à chacun la possibilité d’avoir un travail pour subvenir à ses besoins.

L'histoire célèbre d'Ananias est précédée par le rappel de la générosité d'un certain Barnabas. Si Luc, après avoir rappelé la manière de vivre « parfaite » des premiers chrétiens, met en avant l'histoire de ce Barnabas (dont on a gardé le nom !) qui a vendu sa propriété, c'est peut-être un indice que ce n'était finalement pas si fréquent que cela ... ce que semble précisément confirmer la suite du récit !

Ananias vend donc une propriété, en accord avec son épouse Saphira, et dépose une partie de la somme de cette vente aux pieds de l'apôtre Pierre. Quel est donc le problème ? Finalement Ananias et Saphira sont somme toute fort généreux ... d'un point de vue comptable certainement plus que nous !

Luc veut renforcer la gravité du geste en utilisant dans son récit deux mots grecs rares qui soulignent d'une part la connivence qui lie les deux époux et d'autre part le fait qu'ils retiennent (voire dérobent) une partie de la somme.

Ananias veut passer pour un fidèle ... mais son cœur ne suit pas ! Après tout Zachée n'avait pas non plus donné tout son argent (et il a été loué pour sa générosité !) ; ce qui est grave ici, ce n'est pas le fait de ne pas avoir donné tout l'argent, mais qu'il y a tromperie.

L'Evangile du reste ne condamne pas l'argent en tant que tel; mais bien l'amour de l'argent « la racine de tous les maux, c'est l'amour de l'argent » lit-on en 1Tim 6,10. L'argent n'est pas condamné, ni même la richesse, mais l'Evangile rappelle que le risque est grand que l'argent induise un comportement contraire à l'Evangile, un comportement source non pas de bénédictions, mais de malédictions, non pas d'attention portée à l'autre, mais de divisions !

C'est bien là le danger que voit Pierre : le danger de la division au sein même de la communauté. Satan (la figure du Mal) joue dans ce récit un grand rôle; c'est la figure même du Diviseur. Pierre sent bien que le plus grand danger qui guette cette communauté naissante, malgré les menaces de persécutions (et ce n’était pas peu de choses !), ne vient pas du dehors mais du sein même de la communauté par cet argent qui tout à la fois peut permettre à la communauté de vivre et de venir en aide aux indigents comme il peut saper son unité.

Il ne suffit pas de donner pour avoir un cœur pur, il faut encore savoir se détacher des richesses. En lisant ce texte, comment ne pas penser à la situation actuelle de notre monde où les inégalités loin de s’estomper vont croissantes. J’étais cet  été rendre visite à une Eglise sœur dans la région du Kivu en RDC, région s’il en est ravagée par la misère. Alors que l’argent pourrait apporter un tel soulagement en matière d’éducation, de santé publique, de préservation du climat, on continue de voir les plus riches s’enrichir de manière totalement immorale, là-bas comme partout dans le monde. L’argent trop souvent devient un instrument de division et de pouvoir quand il permet aux plus riches de s'enrichir coûte que coûte sans aucune retenue ou sens moral.

Ce texte nous rappelle que l'argent, s'il n'est pas condamné en tant que tel, ne va pas sans un contrôle moral, sans une réflexion sérieuse sur son usage. J’ai relu en préparant ce message, le commentaire de Calvin sur ce texte. C’est passionnant et il ne serait peut-être pas inutile que ceux qui tiennent les puissances financières de ce monde relisent Calvin ! Calvin en effet ne cesse dans ses écrits précisément de souligner avec force ce lien qu'il doit y avoir entre éthique et argent et combien l'argent est à vivre et comprendre comme un moyen et non une fin en soi. Et je ne résiste pas au plaisir de vous lire ces quelques lignes du commentaire de Calvin sur ce passage : « De première entrée le faict d’Ananias sembloit estre beau et digne de mémoire, voire quand il n’eust donné que la moitié de son héritage vendu : car ce n’est point vertu vulgaire, asçavoir qu’un homme riche partisse également ses biens avec les povres….quand la rondeur et la simplicité du cœur n’y est point, rien ne luy peut estre agreable »

Ce qui est symptomatique chez Ananias et Saphira c'est le fait que malgré leur foi, certainement sincère et leur grande générosité envers la communauté, ils continuent de placer avant tout leur confiance dans leur argent. Leur argent : voilà leur sécurité !

Lors de chaque culte, il y a le temps liturgique de l’offrande. Alors bien sûr que l’offrande est nécessaire pour la santé financière de notre communauté (et ce n’est pas notre trésorier qui dira le contraire), non seulement pour nous rappeler que notre communauté ne vit d'abord que des dons qu'elle reçoit, dons d'argent, mais aussi dons de temps, d'engagements, de charismes divers, mais l’offrande c’est plus cela. Dans le cadre du culte et de la louange, le temps de l’offrande est là comme une invitation à un certain détachement par rapport à l'argent, à nos biens. Pour nous rappeler fondamentalement que ce n’est pas là d'abord qu’est notre sécurité. Notre secours est dans le nom du Seigneur ! Un point c'est tout ! Dans le Seigneur nous devons placer notre confiance et reconnaître combien tout ce que nous possédons nous l'avons de fait reçu. Je suis venu au monde nu comme un ver et c'est les poches vides que je retournerai vers mon Seigneur. Je crois profondément que le geste de l'offrande intervient comme une piqûre de rappel hebdomadaire pour nous apprendre à lâcher prise par rapport à ce besoin constant que nous avons de vouloir « assurer nos arrières ». De toute manière, nous sommes tous pleins d'incohérences : entre nos discours, voire notre volonté et notre manière de vivre. Personne n'est franchement à l'aise dans son rapport à l'argent (et ça n'a rien à voir avec la classe sociale); mais participer à une offrande, c'est exprimer la volonté de placer d'abord en Dieu notre sécurité. C'est le signe aussi de vouloir malgré toutes nos incohérences et nos difficultés, vivre quelque chose de l'ordre de la solidarité, de l'attention portée à l'autre. C'est en ce sens que l'attitude d'Ananias et Saphira est dangereuse car elle sape l'essence même du principe de l'offrande, puisque dans le fait de donner, ils refusent de lâcher prise, puisque dans l'acte même de donner qui doit signifier leur attachement à Dieu, ils manifestent que le combat contre la puissance du mensonge et du mal est en train d'être perdu.

Par notre participation au geste de l'offrande, il ne s'agit pas de s'acheter une bonne conscience, mais de travailler notre cœur (non pas, faut-il le rappeler, pour résoudre une fois pour toute la question de notre rapport à l'argent – qui restera de tout temps et pour tout le monde ambigu et difficile) mais pour nous aider dans notre combat constant contre le mésusage de l'argent, dans notre combat pour redonner à l'argent sa juste place dans notre vie.

Ce texte semble parfois difficile à entendre et l'image de Dieu qu'il induit semble assez rude. Le message évangélique du pardon est apparemment absent de ce récit – ce qui confère à ce texte – ce climat sévère. Si ce texte n'aborde pas la question du pardon, ce n'est pas qu'il n'y a pas de pardon, c'est que le pardon n'est tout simplement pas ici la question. Quant à l'image de Dieu, elle paraît certes sévère; elle est surtout exigeante. Dieu est exigeant, car le combat contre le Mal n'est pas gagné  Et que l'argent (et surtout la confiance que l'on place dans l'argent) est un des lieux propices de ce combat. La situation actuelle de notre monde nous montre si besoin est combien l'injustice et le mal progressent quand l'amour de l'argent augmente ! Dieu est donc certes un Dieu exigeant, mais il est aussi un Dieu qui s'engage à nos côtés dans l'aventure humaine et qui attend donc de nous en retour que nous nous engagions à ses côtés et plus nous avons de moyens, plus notre responsabilité est grande !

Ce texte est une invitation à lutter contre le Mal et surtout contre l'hypocrisie qui peut toucher tous les domaines de la vie et pas seulement notre rapport à l'argent. Finalement cela revient une fois de plus à la question essentielle de savoir comment vivre en accord avec la grâce de Dieu ? On aura jamais fini de répondre à cette question Participer au geste de l'offrande c'est s'efforcer de traduire régulièrement cette réflexion par un geste tout simple.

Amen

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